Le drame de l'avenue de Choisy
Le Radical — 3 février 1888
Les locataires d'un hôtel situé au n° 33 de l'avenue de Choisy étaient réveillés, la nuit dernière, par les plaintes d'une femme.
Ils pénétrèrent dans la chambre d'où partaient ces cris.
Près de la fenêtre, dont une vitre était brisée, gisait une femme demi-nue. Un peu plus loin, également étendu sur le parquet, un jeune homme âgé d'environ vingt-deux ans, ne donnant plus aucun signe de vie.
Voici le drame qui venait de se dérouler :
F… soldat dans un régiment d'artillerie, avait obtenu, il y a deux semaines, un congé de huit jours qu'il vint passer près de sa famille, laquelle habite le quartier du Gros-Caillou.
Dans ses promenades, il rencontra une nommée Chaillou, âgée de vingt-sept ans, avec laquelle il eut des relations avant de partir au régiment.
L'ancien lien fut renoué et notre amoureux en vint à oublier le jour du retour.
Devenu déserteur, le jeune soldat alla avec sa maîtresse se réfugier dans le garni de l'avenue de Choisy.
À bout de ressources et ne voulant pas rentrer à la caserne, il résolut d'en finir avec la vie.
Il dit alors à sa maitresse : « J'ai déserté pour toi ; or, comme je ne tiens pas à passer devant le conseil de guerre, je suis décidé à me tuer, mais je veux que tu meures avec moi. »
La jeune femme ne fit que rire de ses menaces.
Hier soir, les deux amants montèrent dans leur chambre des victuailles, du vin et du rhum, élurent bombance.
F… qui tenait toujours à son idée, enivra sa maîtresse, et, lorsqu'elle fut complètement grise, la déshabilla et la coucha sur le lit.
Pendant qu'elle dormait du lourd sommeil de l'ivresse, il alla acheter du charbon, en remplit jusqu'aux bords le poêle de la chambre et l’alluma, puis, après avoir bouché toutes les issues de la pièce, il s'étendit à la place où on l'a trouvé.
La jeune femme ne s'aperçut d'abord de rien, mais le gaz acide carbonique lui causant de vives douleurs de tête, elle s'éveilla et parvint à se traîner jusqu'à la fenêtre dont elle brisa un carreau.
C'est à ses cris que, les voisins étant accourus, des soins énergiques lui furent prodigués sur-le-champ, et elle ne tarda pas à revenir à la vie.
Quant au jeune homme, le médecin, appelé en hâte, ne put que constater sa mort.
F... appartenait à une famille des plus honorables.
A lire également
Dans l'édition du même jour du même journal : le drame de la rue Coypel