L'incendie de la rue des Cordelières
Le Petit-Parisien ― 14 septembre 1895
Hier soir, vers sept heures et demie, le feu s'est déclaré, avec une
grande violence, dans l'immeuble situé 24, rue des Cordelières (13è
arrondissement), où se trouvent une fabrique d'eau de seltz et un dépôt
d'eaux minérales appartenant à M. Aureau.

L'incendie, qui a éclaté, on ne sait encore comment, a pris, dès le
début, de grandes proportions, grâce aux matières éminemment combustibles
qui étaient contenues dans l'établissement. En moins d'un quart d'heure il
s'est propagé dans la maison voisine portant le numéro 26 qui n'avait
qu'un étage d'habitation, mais derrière laquelle s'élevaient les immenses
séchoirs, hauts de cinq étages, d'une mégisserie, dont le propriétaire était
M. Gély ainé, teinturier en peaux.
Les secours
Dès la première alarme, donnée par les habitants du quartier, au moyen de
plusieurs avertisseurs établis avenue des Gobelins et boulevard Arago, les
secours sont arrivés des casernes de pompiers de la rue Jeanne-d'Arc, du
boulevard du Port-Royal et de la rue Denfert-Rochereau.
Trois pompes à vapeur ont été mises immédiatement en manœuvre et des
torrents d'eau ont inondé le foyer de l'incendie, dont la lueur s'apercevait
de divers points de Paris. Une foule énorme était accourue sur les lieux du
sinistre, et M. Debeury, commissaire de police divisionnaire, organisa des
barrages d'agents à la hauteur du boulevard Arago, au point où la rue des
Cordelières y vient aboutir, et rue Pascal, dégageant ainsi les abords du
sinistre.
Malgré tous les efforts des pompiers et des habitants qui s'employaient,
eux aussi, très énergiquement à l'extinction du fléau, Il ne fallait songer
qu'à préserver les maisons voisines car les flammes avaient trouvé dans la
mégisserie composée exclusivement de planches, et de voliges même, un
aliment facile.
L'immeuble, partant le n°28 où se trouve une fabrique de sacs appartenant
à M. Letemplier, fut dès lors envahi par les pompiers qui réussirent à le
préserver.
D'un autre côté, sur les derrières de la mégisserie qui s'écroulait
progressivement, le feu faisait des ravages et menaçait d'une façon
inquiétante les maisons situées 63 et 65, rue Pascal.
Les murs étaient léchés par les flammes et une panique bien
compréhensible s'emparait des habitants.
Ceux-ci, au milieu des cris d'effarement des femmes et des enfants,
déménageaient à la hâte leurs objets précieux et jetaient par les fenêtres
les meubles, la literie, etc., qui venaient s'amonceler sur le trottoir de
la rue Pascal.
Cependant, grâce à la rapidité avec laquelle les lances des pompiers
avaient été dirigées sur ces maisons tant menacées, le feu diminuait peu à
peu d'intensité et finalement les abandonnait.
Il était à ce moment neuf heures et tout danger était conjuré.
Dans la rue Pascal, les locataires qui avaient éprouvé une si vive alerte
étaient remis de leur émoi et opéraient à la hâte leur remménagement.
Cependant le feu couvait encore sous les décombres, et à neuf heures et
demie les flammes s'élevaient très hautes par-dessus l'amas des ruines
incandescentes de la mégisserie. M. Gaillot, chef de la police municipale,
était présent sur les lieux de l'incendie, ainsi que MM. Bolot, Perruche,
commissaires de police, et Marion, officier de paix.
Le service d'ordre était fourni par les agents des cinquième et treizième
arrondissements. Pendant toute la nuit une pompe à vapeur est restée sur le
théâtre de l'incendie pour noyer les décombres.
Une victime
Il faut, malheureusement, signaler un accident arrivé à un caporal de
sapeurs-pompiers, nommé Louis Béguin.
Ce caporal a reçu sur la tête une croisée et les vitres, en se brisant,
l'ont blessé à la tête et aux mains.
Après avoir reçu des soins dans la pharmacie située 6, boulevard Arago,
Louis Béguin a été reconduit à l’infirmerie de la caserne du boulevard du
Port-Royal.
Son état n'est nullement inquiétant
Les dégâts
Les dégâts matériels ne sont pas encore évalués même approximativement
mais s'élèveront certainement à un chiffre considérable.
M. Aureau, fabricant d'eau de seltz, chez lequel le feu s'est déclaré, et
M. Gély aîné, dont la mégisserie a été entièrement la proie des flammes,
étaient assurés.
Il n'en est pas de même à l'égard des autres personnes dont les mobiliers
ont été incendiés et parmi lesquelles les plus éprouvées sont MM. Gonthier,
Gombert et Chefgros, ce dernier gardien de la paix du treizième
arrondissement.
Une enquête est ouverte pour rechercher les causes du sinistre.