Deux Conduites d'Eau éclatent
LES FORTIFICATIONS S'EFFONDRENT
sur plus de cent mètres
Le Journal — 28 janvier 1912
La poterne des Peupliers, située à l'extrémité de la rue des Peupliers,
entre les portes de Gentilly et de Bicêtre, fait partie d'un groupe
d'ouvrages militaires se rattachait au système des fortifications de Paris
reconstruit en 1889 pour assurer la défense de la vallée de la Bièvre. Elle
est chevauchée maintenant par le boulevard Kellermann dont la chaussée et
les larges trottoirs renferment quatre grosses conduites d'eau de 90
centimètres de diamètre qui alimentent les deux réservoirs assurant la
distribution de l'eau à Paris. Deux de ces artères, placées en bordure des
fortifications, se sont rompues, hier soir, et le torrent qui s'est formé a
entraîné tout le flanc droit de l'ouvrage militaire : cent mètres environ du
mur des fortifications. Les conséquences de l'accident, qui s'est déjà
produit plusieurs fois mais sans avoir la même gravité, sont nombreuses Il
est à craindre qu'il ne provoque, en particulier une certaine perturbation
dans la distribution de l’eau de Paris.
Nous avons pu rencontrer un témoin de ce grave accident, Mme Leroy, qui
tient un commerce de vins à proximité, avenue de la Poterne, extra-muros.
Elle nous en a fait le récit suivant :
— Ce soir, vers cinq heures et quart, nous dit-elle,
je me trouvais à quelques pas de chez moi, en compagnie de deux voisins,
lorsqu'un bruit terrible attira brusquement notre attention du côté de la
Poterne. Nous voulions nous avancer pour nous renseigner, mais des employés
de l'octroi dont le bureau est installé sous la voûte accoururent au-devant
de nous pour nous conseiller de ne pas approcher. Ils nous apprirent alors
qu'une conduite venait encore de se rompre dans la chaussée du boulevard
Kellermann ; c'était la quatrième fois en dix mois. Il y avait danger. L'eau
jaillissait du sol avec une force extraordinaire, et ses flots descendaient
les rampes du boulevard en brisant tout sur leur passage. Les agents, les
pompiers prévenus, accoururent bientôt pour prendre les dispositions
nécessaires et arrêter la circulation. L'eau formait maintenant un véritable
lac sous la poterne. L'on avait informé également les divers services
compétents ; nous pensions tous que l'affaire allait en rester là. Et, comme
tous nous étions habitués à ce genre de surprises, nous n'étions pas émus
outre mesure. Mais voilà qu'à six heures et demie environ un fracas
épouvantable se produisit. Nous vîmes les arbres du boulevard Kellermann
osciller, les moellons des fortifications sauter comme des bouchons de
Champagne. Tout le flanc droit de la Poterne — cent mètres de murs —
s'écroulait. Et dans l'excavation apparurent, béantes, et projetant avec une
force extraordinaire d'énormes colonnes d'eau, deux des conduites du
boulevard. Nous étions là une dizaine de témoins de cet événement imprévu.
Et, tous alors, malgré l'émotion qui nous étreignait, poussâmes le même cri
d’angoisse et de terreur. Un homme qui conduisait un cabriolet s'engageait
sous la poterne au moment même où les blocs de pierre se détachaient du mur
des fortifications et s'abattaient sur la route. Le malheureux allait être
effroyablement broyé !... Ce fut un soulagement général lorsque nous
le vîmes se dégager vivement, sauter de son siège et échapper à
l'écroulement. Le service des eaux réussissait enfin, à sept heures moins le
quart, à fermer les vannes des conduites rompues.
Les dégâts causés sont considérables. Ce coin des fortifications offre
maintenant un aspect lamentable. Les rampes du boulevard Kellermann sont
ravinées et la chaussée disparaît sous une couche de limon qui a près de 40
centimètres hauteur. Le trottoir qui longe le côté extra-muros des
fortifications a été emporté à peu près sur la même longueur que le mur.
Près de deux mètres de la paroi de pierre sont lézardés; aux alentours, le
sol s'est affaissé ou crevassé. On craint que tout ce bloc de terre et de
moellons de deux cents mètres de longueur et de près de dix mètres de
largeur ne s'effondre encore.
Avant l'éboulement, les eaux s'étaient répandues, comme nous l'avons dit,
sous la poterne. Elles filtrèrent à travers le sol et engorgèrent les égouts
et la Bièvre, provoquant ainsi, par infiltration, l'inondation de presque
toutes les caves du voisinage.
Quand l'excavation extra muros se fut produite, les flots se déversèrent
dans le fossé des fortifications, qui s'emplit sur une étendue de 150
mètres.
Le mur des fortifications qui s'est effondrée, a 10 mètres de hauteur. La
base en est fermée par des fondations de 8 mètres d'épaisseur.
D'après les premières constatations faites par les ingénieurs de la Ville
et du service des eaux, la cause initiale de l'accident a été la rupture
d'une conduite du réservoir de Villejuif.
L'eau, en se répandant sous terre, aurait miné le mur des fortifications
qui s’est alors écroulé. Ce serait, dans ce cas l'éboulement qui aurait
provoqué l'éclatement de la seconde conduite.
Comme nous l'indiquions, il faut s'attendre à ce qu'une perturbation se
produise dans la distribution de l'eau à Paris par suite de la mise hors
service de deux artères brisées, mais l'on nous a assuré qu'elle ne
toucherait que certains quartiers et qu'elle ne durerait pas plus de
quarante-huit heures.
Le « rescapé » dont nous parlait Mme Leroy est un représentant de
commerce. M. François Cocard, demeurant 63, rue de Montcalm. Il en a été
quitte pour une forte émotion. La voiture où il se tenait, a eu les roues
brisées.
Dès la première minute, la circulation avait été interdite, boulevard
Kellermann, rue des Peupliers et sur un rayon de trois cents mètres. Cette
mesure, prise par M. Ringel, officier de paix du treizième arrondissement,
sera maintenue pendant un certain temps, en prévision de nouveaux
éboulements.
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