Le drame de la cité Jeanne d'Arc
Haustrate aux Assises
Gil Blas ― 6 septembre 1907
La cour d'assises a eu hier l'écho d'un drame qui fit quelque bruit dans Paris, il y a quelques mois.
Le 7 avril dernier, dans l'après-midi, le sous-brigadier Mariton, de service rue Nationale, voyait venir à lui un individu en proie à une violente émotion et qui lui déclara :
— Conduisez-moi au poste, car je viens de tuer un homme qui m'avait emmené dans sa chambre, 1, cité Jeanne-d'Arc.
Le sous-brigadier crut avoir affaire à un fou ; il le conduisit néanmoins auprès de M. Yendt, commissaire de police, auquel l'inconnu raconta :
— Ce matin, je me promenais le long des quais, lorsqu'un individu que je ne connaissais pas, lia conversation avec moi. Peu après, il m'expliqua qu'il était journalier, âgé de quarante-neuf ans, et qu'il s'appelait Jean Guérineau. Il me proposa d'aller déjeuner ensemble, ce que nous fîmes. Dans l'après-midi, il me proposa de le suivre dans son logement ; sans défiance j'acceptai. Mais à peine avait-il fermé la porte de sa chambre qu'il me fit des propositions malhonnêtes. Je refusai. Il s'emporta. Une discussion s'ensuivit au cours de laquelle, aveuglé par la colère, je saisis mon antagoniste à la gorge et je l'étranglai avec un foulard.
Le récit terminé, M. Yendt lui demanda son nom. Il refusa de le donner.
― Je ne révélerai mon nom à personne, n'insistez pas, ce n'est pas la peine. Peut-être que plus tard, devant le juge d'instruction je me déciderai à parler.
Mais à un inspecteur du commissariat, il consentit à dire qu'il s'appelait J. H.
Une heure après son arrestation, on conduisit J. H. 1, cité Jeanne-d'Arc ; la porte de la chambre de Guérineau était fermée à clef.
― C'est moi qui l'ai fermée, dit le prisonnier ; je ne sais ce que la clef est devenue.
On fit chercher un serrurier qui fit sauter la porte ; l'inconnu n'avait pas menti ; le cadavre du journalier gisait sur le lit, étranglé.
Le lendemain, Le juge d'instruction Boucard procéda à l'interrogatoire du meurtrier qui, de suite, consentit à dévoiler son identité.
— Je suis fumiste de mon métier, dit-il, j'ai trente et un ans, je suis actuellement sans domicile et je me nomme Auguste-Joseph Haustrate.
Au cours de l'instruction, le sous-brigadier Mariton, qui avait arrêté Haustrate, déclara que l'inculpé s'était vanté à plusieurs reprises d'avoir fouillé le cadavre de Guérineau. Ce serait donc le vol qui serait le mobile du crime.
Haustrate, confronté avec le sous-brigadier, dit qu'il ne se souvenait de rien :
― J'étais fou et, de plus, en état d'ivresse.
Ici s'arrête ce roman qui semble extrait du rez-de-chaussée d'un journal populaire et il ne nous est permis ni de le commenter ni de donner le compte rendu des débats.
L'avocat général Lescouvé estimant que dans celle affaire, il pouvait être prononcé des paroles contraires aux bonnes mœurs, a demandé à la Cour de prononcer le huis-clos ; il est aisé de deviner les dessous mystérieux et répugnants de cette affaire.
Haustrate a été condamné à cinq ans de réclusion et dix ans d'interdiction de séjour.
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