Précoces Criminels
Le Petit Parisien — 24 novembre 1895
Une tentative criminelle que ne renieraient pas des scélérats endurcis a
été commise par trois gamins de douze à treize ans contre un autre enfant,
le jeune Lucien Delagne, âgé de douze ans, écolier, demeurant chez ses
parents, honnêtes ouvriers, rue du Champ-de-l’Alouette.
Les précoces bandits, qui nourrissaient contre leur camarade un de ces
griefs futiles que les enfants vident d'habitude en sortant de la classe par
d'inoffensifs pugilats, ont tenté de se défaire de lui en le noyant. Voici
comment :
Les coupables, nommés Émile Alasse, âgé de treize ans; Félix Ruat, de
douze ans et demi, et Adrian Oudé, âgé de treize ans, habitant tous les
trois dans le quartier de la Maison-Blanche avaient l’habitude d’aller
s’amuser dans des terrains vagues servant de décharge situés sur les
bords de la Bièvre et auxquels on accède par le Boulevard d’Italie.
Plusieurs enfants du quartier Croulebarbe venaient également prendre
leurs ébats en cet endroit. Il en résultait une de ces rivalités de
quartier, fréquentes parmi les galopins, qui se traduisait de temps à autre
par des batailles rangées à coups de pierres. Néanmoins, comme ceux de
Croulebarbe étaient généralement les plus forts, des trêves avaient souvent
lieu durant lesquelles les deux partis ennemis fusionnaient pour jouer
ensemble. Cependant, le jeune Delagne, étant d'une constitution chétive,
n'en imposait pas au groupe adverse, qui ne lui ménageait point les mauvais
traitements.
Il y a trois jours, s'étant aventuré seul sur le boulevard d'Italie, il
rencontra Oudé et Ruat qui le malmenèrent fort; il s'en plaignit à ses
camarades qui, avant-hier, leur tirent subir de justes représailles.
Or, hier après-midi, quatre heures et demie, Delagne se rendit dans le
terrain vague, croyant y trouver ceux de son quartier. Il n'y avait que ses
ennemis qui, en l'apercevant, se dissimulèrent derrière un tas de décombres.
Lorsqu'il fut à proximité, ils se ruèrent sur lui. Le pauvres petit se
défendit de son mieux, mais ne tarda pas à avoir le dessous dans la lutte.
C'est alors que Alasse proposa de le noyer. Ses complices accueillirent
cette horrible proposition avec enthousiasme.
Malgré ses cris et ses supplications, le malheureux vaincu, qui se
débattait désespérément, fut saisi par ses bourreaux improvisés et précipité
dans la Bièvre.
Leur mauvaise action accomplie, les petits bandits se sauvèrent à toutes
jambes.
Heureusement, un charretier, M. Charles Matton, avait assisté de loin au
drame. Il se porta au secours de la victime qu'il put retirer saine et sauve
de l'eau, bien qu'évanouie. Transporté chez ses parents, Delagne a été
rappelé à la vie.
Les auteurs de cette tentative criminelle ont été arrêtés. Alasse, qui en
est l’instigateur, va être mis en correction.
Les parents de ses complices seront poursuivis comme civilement
responsables de l’acte commis par leurs enfants.
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