Le drame de la rue du Moulinet
Un brigadier de police tue sa femme dans un accès de fureur et disparaît
Le Journal ―11 août 1932
La jalousie et la colère n'ont pas seules le triste privilège de pouvoir
être évoquées comme les seuls mobiles de drames sanglants. L'avarice conduit
parfois au crime ceux qu'elle hante.
C'est ainsi que pour une misérable question d'intérêt, le brigadier de gardiens
de la paix du 5è arrondissement, Fernand-Maurice-Désiré Pacotte, né le 5 mai
1890, à Echalot (Côte-d'Or), a tué de quatre balles de revolver sa femme, Henriette-Sidonie
Blain, née à Vitry-sur-Seine, en juillet 1888, après une discussion qui dura
plus de deux heures.
Les
époux Pacotte habitaient depuis plusieurs années un petit pavillon dont ils
étaient propriétaires 43-45, rue du Moulinet. La maisonnette, solidement construite,
comprend une cuisine et trois pièces surélevées au-dessus de la cave. Une chambre
indépendante abritait, depuis cinq ans, une brave femme de ménage, Mme Pfeifer,
née Gracy Hinart âgée de 70 ans.
Le ménage, qui possédait une certaine aisance, aurait pu être heureux. En
effet, la solde du brigadier était assez élevée, et, de son côté, Mme Pacotte,
qui, lors de son mariage en 1923 avait apporté une dot de 30.000 francs, gagnait
bien sa vie en travaillant chez elle comme confectionneuse. L'intérieur du logis,
coquettement meublé et d'une propreté méticuleuse, atteste les qualités ménagères
de la malheureuse victime.
Pourtant tout ce bien-être matériel était gâté par le caractère du brigadier.
Si Mme Pacotte, femme aimable et douce, jouissait de la considération unanime
de ses voisins, il n'en était pas le même de son mari, qui, aux dires de ses
proches mêmes, était un homme intègre, méticuleux, mais sournois, brutal et
intéressé jusqu'à un point qui frisait l'avarice. C'est là ce qui devait déclencher
le drame.
Mardi, vers 21 h. 30, Mme Pfeifer était à peine rentrée dans sa chambre qu'elle
percevait les échos d'une violente discussion chez ses propriétaires.
Mme Pacotte criait : « Mme Pfeifer ! il veut me tuer. »
Presque aussitôt, la malheureuse, épouvantée, se réfugiait en chemise chez
sa locataire et lui disait que son mari venait de la menacer de son revolver.
Après quelques minutes, l'homme ayant paru s'apaiser, Mme Pacotte rentrait
chez elle ; mais bientôt la discussion reprenait. La femme de ménage, apeurée,
comprit, par bribes, que le brigadier réclamait à sa femme des bijoux qu'il
lui avait offerts et qui, disait-il, valaient 20.000 francs. Mme Pacotte s'en
fut sans doute les chercher dans un coffret, les jeta aux pieds de son mari,
qui répondit : « Merci. » Puis le calme était revenu.
Soudain, vers 23 heures .30, six coups de feu claquèrent à une cadence rapide.
Mme Pfeifer vit alors dans la courette le brigadier tournoyer sur lui-même «
comme une toupie » et prendre la fuite, vêtu seulement d'un pantalon de treillis
et d'un tricot.
Tout d'abord, elle pensa que M. Pacotte venait de décharger son revolver
pour tranquilliser sa compagne mais, inquiète et n'entendant plus aucun bruit,
elle alerta la police. Bientôt M. Barnabé, commissaire du 13è arrondissement,
accompagné de M. Lherm, secrétaire du quartier de la Maison-Blanche, arrivait
sur les lieux. Dans l'embrasure d'une porte faisant communiquer la salle à manger
et la pièce servant d'atelier le magistrat trouvait, étendu sur le dos, les
mains crispées, le cadavre de Mme Pacotte.
La victime, qui avait dû tenter de fuir, était vêtue seulement d'un manteau
marron jeté sur une chemise de nuit.
L'examen superficiel du corps a permis de trouver les traces de 4 projectiles
: deux à la poitrine, un au cou et un à la tempe droite. Des douilles et deux
balles gisaient éparses dans la pièce. Le meurtrier, son crime commis, avait
jeté ses armes, un pistolet réglementaire du calibre 7 m/m 65, dont le chargeur
était épuisé et un autre de 6 m/m 35 dont deux cartouches avaient été tirées,
sous des meubles. Sur la table se trouvaient une hachette ne portant aucune
trace suspecte; une feuille déchirée d'un cahier sur laquelle Pacotte avait
écrit posément ses dernières volontés « abandonnant à l'État » une série d'objets
dont il donne un inventaire complet.
Hier matin, M. Lherm a entendu Mme Pfeifer et la soeur de la victime, Mme
veuve Marie-Geneviève Chassagne, née Blain, employée à la ville d'Ivry, et y
demeurant 3 bis, rue Mansart.
Celle-ci, une veuve mère de trois enfants, a déclaré que Pacotte entrait
dans de véritables crises de fureur lorsqu'il apprenait que sa femme avait confectionné
dies vêtements pour ses neveux, ou qu'elle leur avait porté quelque friandise.
Le corps de la victime a été transporté, dans la soirée, à l'Institut médico-légal
aux fins d'autopsie.
Tout donne à penser que le meurtrier s'est fait justice ou que, son accès
de démence calmé, il se constituera prisonnier.