Paris qui s’en va
Le monde illustré — 25 mars 1965
On entend répéter chaque jour que le vieux Paris s'en va. On pourrait ce
nous semble ajouter, sans crainte de se tromper, qu'une bonne partie de la
vieille capitale est déjà loin de nous et qu'il n'en reste trace que dans
les plans exécutés avant l'an de grâce 1849.
Après la transformation des Halles, de la rue de Rivoli, des boulevards
de Sébastopol, rive gauche et rive droite, du quartier Saint-Antoine, du
Temple, etc., etc. on nous annonce celle des quartiers Mouffetard, des
Gobelins et de la barrière Fontainebleau.
De nouvelles artères vont porter la circulation et la vie dans ces rues
primitives; le gaz va forcer les lanternes à huile dans leur dernier asile,
et la Bièvre, suivant l'exemple du canal Saint-Martin, va revêtir ses eaux
boueuses et nauséabondes d'un solide et inodore manteau de bitume. Bientôt
surgiront des maisons à six étages à la place des marais ou les melons et
les concombres prospèrent encore sous l'œil protecteur des serviteurs de la
déesse Pomone, et les omnibus fouleront ce sol resté vierge
jusqu'aujourd'hui des empreintes des roues et des traces des chevaux de
fiacre.
Les quartiers qui vont disparaître ne sont pas ceux les moins curieux du
vieux Paris, et s'ils sont moins connus que les rues de la défunte cité,
c'est leur éloignement qui en est l'unique cause. Les bords de la Bièvre ont
été de tous temps célèbres par leur industrie; c'est à la propriété des eaux
de ce ruisseau qu'on doit les premiers établissements de teinturerie fondés
sur ses rives et dont les Gobelins et leurs magnificences sont la suite
naturelle. Là encore se trouvent la rue de Croulebarbe et la rue du Champ de
l'alouette, célèbre par le crime commis en 1827 sur la bergère d'Ivry. Nous
donnerons une étude complète sur ce quartier si pittoresque et si industriel
dans les numéros où paraîtront les dessins que nous voulons consacrer au
souvenir de ces rues ignorées de plus des deux tiers de la population
parisienne, et nous déclarons avec plaisir que nos recherches ont été
facilitées par les renseignements que nous devons à MM. Cannac et Proux,
industriels des bords de la Bièvre, qui se sont mis à notre disposition avec
la plus gracieuse obligeance. Pour aujourd'hui nous nous bornerons à
rappeler sommairement les détails relatifs à la rivière et au dessin que
nous publions.
Établissements de tannerie et lavage de peaux sur
les bords de la Bièvre.
La Bièvre prend sa source à un kilomètre sud-ouest de Versailles et vient
se jeter dans la Seine près du pont d'Austerlitz. Jadis elle tombait
beaucoup plus bas dans le fleuve, mais on a détourné son cours chaque fois
qu'on a reculé les diverses enceintes de Paris. La longueur de son cours
actuel est de 31 kilomètres. La population des bords de la Bièvre est
exclusivement ouvrière.
Les seules constructions qui s'élèvent sur ses rives sont des
manufactures. Le chemin de fer de ceinture traverse ce ruisseau à l'endroit
appelé : Butte du Moulin des prés, désigné par les gens du quartier sous le
nom de Butte aux cochons.
Notre dessin de ce jour représente un établissement de tannerie et de
lavage de peaux, situé à l'angle des rues Pascal et Cochin; il donne une
idée exacte de la physionomie du quartier. A bientôt l'histoire écrite et
dessinée des bords du pittoresque ruisseau parisien.
A. HERMANT.
Ailleurs sur Paris-Treizieme
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