SANGLANTE TRAGÉDIE
A l'hôpital de la Pitié un fou cherche à tuer un surveillant de nuit
IL S'ENFUIT ET SE SUICIDE
Le Petit-Parisien ― 15 septembre 1908
Une effrayante tragédie s'est déroulée, dans la nuit d'hier, à l'hôpital
de la Pitié. Frappé subitement de folie furieuse, un malade en traitement
dans la salle Piorry, Charles-Albert Baxloy, âgé de trente ans, habitant 10,
rue Dunois, dans le treizième arrondissement, a tenté de tuer un veilleur de
nuit, M. Julien Mercier, âgé de quarante ans. S'étant ensuite évadé de
l'hôpital en escaladant le mur d'enceinte, le dément se porta plusieurs
coups de couteau à la poitrine. Il a succombé peu après à ses horribles
blessures.
Une terrible apparition
Barloy avait été admis à l'hôpital de la Pitié le ~ti août dernier et
l'on n'avait pas tardé à remarquer qu'il donnait, des signes d'exaltation.
Le malade paraissait atteint d'un commencement d'aliénation mentale.
La nuit dernière, vers deux heures et quart, Barloy, s'asseyant sur son
séant, se mit à écrire. L'infirmier Mercier, de garde dans cette salle
s'approcha et l'invita à se recoucher.
― C'est bien fit simplement Barloy. Et, s'allongeant dans son lit, il fit
mine d'obéir.
Ayant effectué une tournée dans la salle et constaté que tous les malades
reposaient, M. Mercier alla s'asseoir dans un fauteuil et ne tarda pas à
s'assoupir.
Il y avait à peine un quart d'heure qu'il somnolait ainsi, lorsqu'il fut
réveillé en sursaut. Barloy, complètement nu, un couteau à la main, se
trouvait devant lui.
Le fou, qui avait conçu le projet d'assassiner celui qui l'avait empêché
d'écrire, avait quitté sa couche sans bruit, s'était armé, on ne sait
comment encore, puis s'était dirigé vers le fauteuil, en passant derrière
les lits, pour mieux se dissimuler au cas où M. Mercier eût rouvert les
yeux.
Avec une rage, une férocité inouïes, il l'attaqua, le frappant à la fois
de son couteau, et de son poing gauche fermé. Surpris par cette brusque et
sauvage agression, l'infirmier résista de son mieux, mais bientôt il se
trouva vaincu et s'effondra, perdant son sang en abondance. Le voyant sur le
sol. l'aliéné se mit, alors, à le piétiner avec rage, en poussant de
véritables hurlements.
L'homme nu s'enfuit!...
Cependant, au bruit de la lutte, on accourait de toutes parts. Malades et
infirmiers intervinrent et, au prix des plus grandes difficultés,
réussirent, enfin, à soustraire Mercier à la fureur homicide du meurtrier.
Celui-ci, alors, s'enfuit par l'escalier principal, et ce fut, dans
l'établissement, une poursuite acharnée à laquelle Mercier, revenu à lui,
tint à prendre part.
Le malheureux surveillant, rassemblant le peu de forces qui lui
restaient, descendit jusqu'au palier du premier étage, marquant son passage
par une large traînée rouge. Mais, là, exténué, il s'affaissa et perdit
connaissance. On le retrouva évanoui quelques instants après devant la porte
de la salle Reyer.
Barloy, toujours sans aucun vêtement et traqué de plus en plus par les
infirmiers et les malades, arriva jusqu'au mur d'enceinte. On pensa alors
pouvoir le capturer avec facilité. Il n'en fut rien. Tel un chat, le dément
s'élança contre le mur et se mit à l'escalader, s'aidant des mains et des
pieds et se déchirant les chairs contre la pierre. Ceux qui l'avaient
poursuivi, ahuris et effrayés, le virent bientôt atteindre le faite. D'un
bond, Barloy sauta dans la rue et disparut à leurs yeux.
Le coupable se fait justice
Le fou, qui, au cours des péripéties dramatiques de sa fuite, ne s'était
pas démuni de son couteau, se porta alors à la poitrine plusieurs coups de
son arme. Par ses multiples blessures, le sang se mit à couler abondamment.
Absolument épuisé, il tomba enfin sur le trottoir, rue de la Pitié, devant
la maison portant le numéro 2.
Un garçon laitier, passant par là, le découvrit peu après, gisant
inanimé, et se hâta de prévenir deux gardiens de la paix. Tandis qu'on
informait du fait M. Defert, commissaire de police du quartier Saint-Victor,
les agents reconduisaient le blessé à l'hôpital de la Pitié.
Malgré tous les soins qui lui furent prodiguée, Barloy expira vers cinq
heures du malin, sans avoir repris connaissance. Ce malheureux était à Paris
depuis deux mois seulement.
Marié et père de deux enfants, il habitait auparavant avec les siens à
Saint-Michel (Marne).
Bon ouvrier mouleur, il gagnait largement sa vie dans une usine de son
pays. Son patron n'avait qu'à se louer de ses services. Mais depuis un
certain temps il présentait des symptômes inquiétants, lorsque, sur les
conseils de ses amis et de son médecin, il vint à Paris pour se faire
soigner.
Il descendit au numéro 10 de la rue de Dunois, chez un de ses
compatriotes, M. Bréguet, employé d'octroi de la ville de Paris.
Dans si l'après-midi, M. Defert, commissaire du quartier Saint-Victor,
est allé interroger le blessé.
M. Mercier a pu lui faire le récit de l'effroyable agression, tel qu'on
l'a lu plus haut. Son état, quoique très grave, n'est pas désespéré.
Depuis cinq ans, il appartient au personnel de l'hôpital de la Pitié.
C'est un excellent serviteur, estimé de ses chefs et aimé de tous ses
camarades, qui font des vœux pour son prompt rétablissement.