Un drame dans un bal public de l'avenue de Choisy
Rivalité d'amour.
Le Matin – 22 octobre 1895
Jeanne Jenart est une bonne petite fille qui, lorsqu'elle a pris un
amant, ne veut pas qu'il se fatigue à travailler. Elle le chérit, le
bichonne, le dorlotte; mais, en échange de tous ces bons soins qu'elle lui
prodigue sans marchander, elle exige de lui une fidélité absolue.
Couturière de son métier, elle joue de l'aiguille jusqu'à des heures
indues pour entretenir confortablement son « homme ». L'heureux bénéficiaire
des bonnes grâces de Jeanne Jenart était, dans ces derniers temps, un
ouvrier sculpteur, presque un artiste auprès duquel il était inutile
d'insister pour qu'il ne travaillât point. Malheureusement pour lui,
l'oisiveté même dans laquelle il vivait lui laissait des loisirs qu'il
employait soit à se griser abominablement, soit à courir d'autres cotillons
que ceux de sa maîtresse.
Le sculpteur en question avait noué des relations intimes avec une
corsetière, Henriette Ritter, âgée de vingt-deux ans, demeurant 45, rue des
Chamaillards. Jeanne Jenart fut rapidement informée de la liaison de son
amant, et elle jura de se venger cruellement de celle qui était maintenant
sa rivale.
Sachant que le sculpteur et Henriette Ritter devaient se rendre, hier
soir, dans un bal public de l'avenue de Choisy, elle les précéda dans cet
établissement. Puis, après avoir absorbé un saladier de vin chaud pour se
donner du courage, elle accosta la corsetière qu'elle commença par accabler
d'injures.
Le sculpteur s'était prudemment éclipsé en voyant la tournure que prenait
l'altercation.
Dans un accès de fureur jalouse, Jeanne Jenart s'arma d'un petit couteau
qu'elle avait dissimulé dans son corsage et en larda littéralement Henriette
Ritter.
Cette dernière a dû être transportée à l'hôpital de la Pitié, où ses
blessures ont été reconnues comme étant très graves.
Quant à la meurtrière, elle a été arrêtée immédiatement et mise à la
disposition de M. Remougin, commissaire de police du quartier, qui s'est
empressé de l'envoyer au Dépôt.
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