La Tournée
V. - AUTOUR DE LA BUTTE-AUX-CAILLES
Un retour à 1850
La Butte-aux-Cailles est encore admirable de résister au moderne. Sa
ruralité survit malgré vingt pointes de nouveauté sur son territoire
raboteux.
On y arrive par la rue du Moulin-des-Prés et la place Paul-Verlaine, par
la rue des Cinq-Diamants ou quelque ruelle à escalier d'un amusant aspect
1830.
Quand on est sur la chaussée de la rue de Tolbiac, on ne sait pas que la
rue du Moulin-des-Prés qu'on vient de quitter, belle, neuve, abornée de
gratte-ciels et de cités-jardins, subsiste derrière les maisons, les usines
et les palissades.
On y trouvait il y a quelques années un large terrain, qu'une explosion,
aux premiers temps de la guerre, avait rasé. On y pénétrait en poussant la
planche disjointe d'une palissade. Un sol remblayé s'étalait-là, où des
gamins pourchassaient les merveilleuses inventions de leur cerveau neuf,
réalisaient les fantasmagories du cinéma. Il ne faut peut-être pas chercher
ailleurs les sources de l'esprit d'aventure que manifestent les gars de ce
quartier.
Des maisons, qui avaient de la terre jusqu'aux yeux, bordaient ce
terrain. La rue du Moulin-des-Prés n'avait plus qu'un flanc. Quelque jour on
lui a rendu l'autre, quand le remblai a été parfait jusqu'à la place
Paul-Verlaine.
Nous donnons ici, sur l'un des lits de la Bièvre. Le sol prodigieusement
exhaussé et mis en palier cache le vallon étroit, mais raide, qu'elle
formait. A six ou sept mètres au-dessous de ces déblais rapportés, elle y
coulait ombragée de peupliers, de bosquets, bordés de guinguettes et de
maisons de campagne.
La rue du Moulin-des-Prés, pour gagner la place Paul-Verlaine, renaît
avec deux murs moussus, où s'ouvrent des maisons qui ont connu les
inondations de la rivière, si l'on en juge par leur construction, les
escaliers qui mènent à des jardinets surélevés, le dénivellement.
Un petit hameau, quelques maisons de bois, de torchis, à tonnelles,
munies de potagers, fut longtemps notre joie. Malheureusement pour lui, on a
construit une piscine qui a occupé un beau morceau de ton territoire.
La rue du Moulin-des-Prés sera bientôt toute bordée de maisons de
rapport, ébaubies de porter les mots champêtres de son nom.
Quand on a gravi la forte pente, passé la place Paul-Verlaine, on est à
la Butte-aux-Cailles. Les rues Jonas, Samson, Alphand, d'autres, vont à la
rue des Cinq-Diamants qui est la voile principale, et, sur l'autre penchant,
vers le boulevard Auguste-Blanqui. Ce ne sont que ruelles bourdonnantes,
éclairées encore, il n'y a pas longtemps, de papillons de gaz, comme au
siècle dernier. Voici le Paris de 1850 à peu près tel qu'Haussmann le
connut.
La rue des Cinq-Diamants a visiblement été reprise au moment qu'on
alignait le boulevard Auguste-Blanqui. Il a fallu, pour la mettre au niveau
de la chaussée qui mène à la place d'Italie, creuser dans la chair de la
Butte une tranchée. Les maisons en ont été rallongées par en bas, ce qui
fait que les basses-cours se trouvent au premier étage. Il y pousse
d'étonnants arbres, malades, poussiéreux, tout de même charmants, au haut
d'escaliers qu'on a dû creuser dans les façades surélevées.
La Butte garde son identité alors que les quartiers voisins se modifient.
Cette colline à moulins à vent où campa Henri IV et d'où l'on titra le canon
contre les Alliés, en 1815, forme, dans le treizième arrondissement un noyau
de gaieté et de pittoresque.
Ses chemins muletiers transformés en rues courant sur les pentes qui
mènent au vallon comblé de la Bièvre ou aux plateaux, qui se font vis-à-vis,
de la place d'Italie et du Lion de Belfort.
Le faubourg Saint-Marceau était venu, pas à pas, jusqu'ici. Le mur des
Fermiers, durant soixante ans, qui courait sur ce qui est les boulevards
Blanqui et Saint-Jacques, le séparait de la Butte-aux-Cailles ; à présent le
treizième arrondissement les unit sans les fondre, sous le chiffre
maléfique.
La suite : La Butte-aux-Cailles prend le frais
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