Les « Étrangleurs de Croulebarbe »
Le Journal — 24 octobre 1902
Cité Jeanne-d'Arc. — Deux bagarres. Vingt arrestations.
La cité Jeanne-d'Arc vient encore d'être le théâtre de scènes sanglantes.
Hier vers trois heures et demie de l'après-midi un malfaiteur dangereux,
frappé de dix ans d'interdiction de séjour, Léon Becquet, âgé de vingt-sept
ans, se prit de querelle avec un autre individu, Adolphe Douraud, dit « Bibi
», au sujet d'une femme, une fille soumise dont le casier judiciaire est orné
de vingt-neuf condamnations.
Des paroles ils en vinrent bientôt aux coups.
Soudain, au paroxysme de la fureur, Becquet s'arma d'un revolver et en tira
quatre coups sur son antagoniste, qui s'affaissa, perdant son sang à flots.
Au bruit des détonations, des gardiens de la paix accoururent et transportèrent
le blessé à l'hôpital Cochin, où l'on déclara son état désespéré.
Pendant ce temps, le meurtrier était arrêté et conduit au commissariat de
police du quartier de la Gare.
Interrogé par M. Rocher, Léon Becquet a déclaré qu'il aurait été heureux
de « faire son affaire » à Douraud. « Ce n'est que partie remise », a-t-il ajouté.
Le commissaire de police a envoyé le meurtrier au Dépôt. Une vingtaine de
rôdeurs et de souteneurs, qui avaient encouragé les combattants, furent également
arrêtés. Après avoir subi un interrogatoire, sept d'entre eux ont été également
dirigés sur le Dépôt.
— A minuit, une nouvelle bataille, à laquelle, cette fois, plusieurs individus
participèrent, se livrait dans la cité Jeanne-d'Arc.
Un souteneur, nommé Jules Derrien, dit « Julot ", dit « La Terreur de Charonne
», âgé de vingt-huit ans, sorti le matin même de la prison de la Santé, où il
purgeait une condamnation pour attaque nocturne et vols, se prit de querelle
avec sa maîtresse, Madeleine Besniard.
Cette Madeleine Besniard est la femme légitime du fameux bandit Juiges, le
chef de la bande des « Étrangleurs de Croulebarbe », qui terrorisa tout Paris
il y a une dizaine d'années.
Arrêté, ainsi que plusieurs de ses acolytes, Juiges fut condamné, en 1894,
aux travaux forcés à perpétuité.
Il laissa à Paris, et particulièrement dans une partie du treizième arrondissement,
des amis qui, hier, prirent fait et cause pour sa femme.
Une épouvantable mêlée s'ensuivit. On entendit des détonations, les couteaux
furent sortis, et un véritable carnage allait se produire si des gardiens de
la paix, en force, n'étaient arrivés.
Tous les combattants, au nombre de douze, furent conduits au commissariat
de police de M. Rocher, qui les fit immédiatement diriger sur le Dépôt.
De nouvelles arrestations, qui purgeront, une fois pour toutes, le treizième
arrondissement des malfaiteurs qui y recherchent un abri, sont imminentes.

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