La nouvelle du Journal de 1897
par Emile Zola
Il y a huit jours que Lucien Bérard et Hortense Larivière
sont mariés. Mme veuve Larivière, la mère, tient, depuis trente ans, un commerce
de bimbeloterie, rue de la Chaussée-d'Antin. C'est une femme sèche et pointue, de
caractère despotique, qui n'a pu refuser sa fille à Lucien, le fils unique d'un
quincaillier du quartier, mais qui entend surveiller de près le jeune ménage. Dans
le contrat, elle a cédé la boutique de bimbeloterie à Hortense, tout en se réservant
une chambre dans l'appartement; et, en réalité, c'est elle qui continue à diriger
la maison, sous le prétexte de mettre les enfants au courant de la vente.
On est au mois d'août, la chaleur est intense, les
affaires vont fort mal. Aussi Mme Larivière est-elle plus aigre que jamais. Elle
ne tolère point que Lucien s'oublie une seule minute près d'Hortense. Ne les a-t-elle
pas surpris, un matin, en train de s'embrasser dans la boutique! Et cela, huit jours
après la noce! Voilà qui est propre et qui donne tout de suite une bonne renommée
à une maison! Jamais elle n'a permis à M. Larivière de la toucher du bout des doigts
dans la boutique. Il n'y pensait guère, d'ailleurs. Et c'était ainsi qu'ils avaient
fondé leur établissement.
Lucien, n'osant encore se révolter, envoie des baisers
à sa femme, quand sa belle-mère a le dos tourné. Un jour, pourtant, il se permet
de rappeler que les familles, avant la noce, ont promis de leur payer un voyage,
pour leur lune de miel. Mme Larivière pince ses lèvres minces.
— Et bien! leur dit-elle, allez vous promener une
après-midi au bois de Vincennes.
Les nouveaux mariés se regardent d'un air consterné. Hortense
commence à trouver sa mère vraiment ridicule. C'est à peine, si, la nuit, elle est
seule avec son mari. Au moindre bruit, Mme Larivière vient, pieds nus, frapper à
leur porte, pour leur demander s'ils ne sont pas malades. Et lorsqu'ils répondent
qu'ils se portent très bien, elle leur crie:
— Vous feriez mieux de dormir, alors... Demain, vous
dormirez encore dans le comptoir.
Ce n'est plus tolérable. Lucien cite tous les boutiquiers
du quartier qui se permettent de petits voyages, tandis que des parents ou des commis
fidèles tiennent les magasins. Il y a le marchand de gants du coin de la rue La
Fayette qui est à Dieppe, le coutelier de la rue Saint- Nicolas qui vient de partir
pour Luchon, le bijoutier près du boulevard qui a emmené sa femme en Suisse. Maintenant,
tous les gens à leur aise s'accordent un mois de villégiature.
— C'est la mort du commerce, monsieur, entendez-vous!
crie Mme Larivière. Du temps de M. Larivière, nous allions à Vincennes une fois
par an, le lundi de Pâques, et nous ne nous en portions pas plus mal... Voulez-vous
que je vous dise une chose? eh bien! vous perdrez la maison, avec ces goûts de courir
le monde. Oui, la maison est perdue.
— Pourtant, il était bien convenu que nous ferions
un voyage, ose dire Hortense. Souviens-toi, maman, tu avais consenti.
— Peut-être, mais c'était avant la noce. Avant la
noce, on dit comme ça toutes sortes de bêtises... Hein? Soyons sérieux, maintenant!
Lucien est sorti pour éviter une querelle. Il se
sent une envie féroce d'étrangler sa belle-mère. Mais quand il rentre, au bout de
deux heures, il est tout changé, il parle d'une voix douce à Mme Larivière, avec
un petit sourire au coin des lèvres.
Le soir, il demande à sa femme:
— Est-ce que tu connais la Normandie?
— Tu sais bien que non, répond Hortense. Je ne suis
jamais allée qu'au bois de Vincennes.
Le lendemain, un coup de tonnerre éclate dans la
boutique de bimbeloterie. Le père de Lucien, le père Bérard, comme on le nomme dans
le quartier, où il est connu pour un bon vivant menant rondement les affaires, vient
s'inviter à déjeuner. Au café, il s'écrie:
— J'apporte un cadeau à nos enfants. Et il tire triomphalement
deux tickets de chemin de fer.
— Qu'est-ce que c'est que ça? demande la belle-mère
d'une voix étranglée.
— Ça, ce sont deux places de première classe pour
un voyage circulaire en Normandie... Hein? mes petits, un mois au grand air! Vous
allez revenir frais comme des roses.
Mme Larivière est atterrée. Elle veut protester;
mais, au fond, elle ne se soucie pas d'une querelle avec le père Bérard qui a toujours
le dernier mot. Ce qui achève de l'ahurir, c'est que le quincaillier parle de mener
tout de suite les voyageurs à la gare. Il ne les lâchera que lorsqu'il les verra
dans le wagon.
— C'est bien, déclare-t-elle avec une rage sourde,
enlevez-moi ma fille. J'aime mieux ça, ils ne s'embrasseront plus dans la boutique,
et je veillerai à l'honneur de la maison!
Enfin, les mariés sont à la gare Saint-Lazare, accompagnés
du beau-père, qui leur a laissé le temps tout juste de jeter un peu de linge et
quelques vêtements au fond d'une malle. Il leur pose sur les joues des baisers sonores,
en leur recommandant de bien tout regarder, pour lui raconter ensuite ce qu'ils
auront vu. Ça l'amusera!
Sur le quai du départ, Lucien et Hortense se hâtent
le long du train, cherchant un compartiment vide. Ils ont l'heureuse chance d'en
trouver un, ils s'y précipitent et s'arrangent déjà pour un tête-à-tête, lorsqu'ils
ont la douleur de voir monter avec eux un monsieur à lunettes qui, aussitôt assis,
les regarde d'un air sévère. Le train s'ébranle: Hortense, désolée, tourne la tête
et affecte de regarder le paysage; des larmes montent à ses yeux, elle ne voit pas
seulement les arbres. Lucien cherche un moyen ingénieux de se débarrasser du vieux
monsieur, et ne trouve que des expédients trop énergiques. Un moment, il espère
que leur compagnon de route descendra à Mantes ou à Vernon. Vain espoir, le monsieur
va jusqu'au Havre. Alors, Lucien, exaspéré, se décide à prendre la main de sa femme.
Après tout, ils sont mariés, ils peuvent bien avouer leur tendresse. Mais les regards
du vieux monsieur deviennent de plus en plus sévères, et il est si évident qu'il
désapprouve absolument cette marque d'affection, que la jeune femme, rougissante,
retire sa main. Le reste du voyage se fait dans un silence gêné. Heureusement, on
arrive à Rouen.
Lucien, en quittant Paris, a acheté un Guide. Ils descendent
dans un hôtel recommandé, et ils sont aussitôt la proie des garçons. A la table
d'hôte, c'est à peine s'ils osent échanger une parole, devant tout ce monde qui
les regarde. Enfin, ils se couchent de bonne heure; mais les cloisons sont si minces,
que leurs voisins, à droite et à gauche, ne peuvent faire un mouvement sans qu'ils
l'entendent. Alors, il n'osent plus remuer, ni même tousser dans leur lit.
— Visitons la ville, dit Lucien, le matin, en se
levant, et partons vite pour le Havre.
Toute la journée, ils restent sur pieds. Ils vont
voir la cathédrale où on leur montre la tour de Beurre, une tour qui a été construite
avec un impôt dont le clergé avait frappé les beurres de la contrée. Ils visitent
l'ancien palais des ducs de Normandie, les vieilles églises dont on a fait des greniers
à fourrage, la place Jeanne-d'Arc, le Musée, jusqu'au cimetière monumental. C'est
comme un devoir qu'ils remplissent, ils ne se font pas grâce d'une maison historique.
Hortense surtout s'ennuie à mourir, et elle est tellement lasse, qu'elle dort le
lendemain en chemin de fer.
Au Havre, une autre contrariété les attend. Les lits
de l'hôtel où ils descendent sont si étroits, qu'on les loge dans une chambre à
deux lits. Hortense voit là une insulte et se met à pleurer. Il faut que Lucien
la console, en lui jurant qu'ils ne resteront au Havre que le temps de voir la ville.
Et les courses folles recommencent.
Et ils quittent Le Havre, et ils s'arrêtent ainsi
quelques jours dans chaque ville importante marquée sur l'itinéraire. Ils visitent
Honfleur, Pont- l'Evêque, Caen, Bayeux, Cherbourg, la tête pleine d'une débandade
de rues et de monuments, confondant les églises, hébétés par cette succession rapide
d'horizons qui ne les intéressent pas du tout. Nulle part, ils n'ont encore trouvé
un coin de paix et de bonheur, où ils pourraient s'embrasser loin des oreilles indiscrètes.
Ils en sont venus à ne plus rien regarder, continuant strictement leur voyage, ainsi
qu'une corvée dont ils ne savent comment se débarasser. Puisqu'ils sont partis,
il faut bien qu'ils reviennent. Un soir, à Cherbourg, Lucien laisse échapper cette
parole grave: — "Je crois que je préfère ta mère." Le lendemain, ils partent pour
Granville. Mais Lucien reste sombre et jette des regards farouches sur la campagne,
dont les champs se déploient en éventail, aux deux côtés de la voie. Tout d'un coup,
comme le train s'arrête à une petite station, dont le nom ne leur arrive même pas
aux oreilles, un trou adorable de verdure perdu dans les arbres, Lucien s'écrie:
— Descendons, ma chère, descendons vite!
— Mais cette station n'est pas sur le Guide, dit
Hortense stupéfaite.
— Le Guide! le Guide! reprend-il, tu vas voir ce
que je vais en faire du Guide! Allons, vite, descend!
— Mais nos bagages?
— Je me moque bien de nos bagages!
Et Hortense descend, le train file et les laisse
tous les deux dans le trou adorable de verdure. Ils se trouvent en pleine campagne,
au sortir de la petite gare. Pas un bruit. Des oiseaux chantent dans les arbres,
un clair ruisseau coule au fond d'un vallon. Le premier soin de Lucien est de lancer
le Guide au milieu d'une mare. Enfin, c'est fini, ils sont libres!
A trois cents pas, il y a une auberge isolée dont
l'hôtesse leur donne une grande chambre blanchie à la chaux, d'une gaîté printanière.
Les murs ont un mètre d'épaisseur. D'ailleurs, il n'y a pas un voyageur dans cette
auberge, et, seules, les poules les regardent d'un air curieux.
— Nos billets sont encore valables pour huit jours,
dit Lucien; eh bien! nous passerons nos huit jours ici.
Quelle délicieuse semaine! Ils s'en vont dès le matin
par les sentiers perdus, il s'enfoncent dans un bois, sur la pente d'une colline,
et là ils vivent leurs journées, cachés au fond des herbes qui abritent leurs jeunes
amours. D'autres fois, ils suivent le ruisseau, Hortense court comme une écolière
échappée; puis, elle ôte ses bottines et prend des bains de pieds, tandis que Lucien
lui fait pousser de petits cris, en lui posant sur la nuque de brusques baisers.
Leur manque de linge, l'état de dénuement où ils se trouvent, les égaie beaucoup.
Ils sont enchantés d'être ainsi abandonnés, dans un désert où personne ne les soupçonne.
Il a fallu qu'Hortense empruntât du gros linge à l'aubergiste, des chemises de toile
qui gratte la peau et qui la font rire. Leur chambre est si gaie. Ils s'y enferment
dès huit heures, lorsque la campagne noire et silencieuse ne les tente plus. Surtout,
ils recommandent qu'on ne les réveille pas. Lucien descend parfois en pantoufles,
remonte lui-même le déjeuner, des oeufs et des côtelettes, sans permettre à personne
d'entrer dans la chambre. Et ce sont des déjeuners exquis, mangés au bord du lit,
et qui n'en finissent pas, grâce aux baisers plus nombreux que les bouchées de pain.
Le septième jour, ils restent surpris et désolés
d'avoir vécu si vite. Et ils partent sans même vouloir connaître le nom du pays
où ils se sont aimés. Au moins, ils auront eu un quartier de leur lune de miel.
C'est à Paris seulement qu'ils rattrapent leurs bagages.
Quand le père Bérard les interroge, ils s'embrouillent.
Ils ont vu la mer à Caen, et ils placent la tour de Beurre au Havre.
— Mais que diable! s'écrie le quincaillier, vous
ne me parlez pas de Cherbourg... et l'arsenal?
— Oh! un tout petit arsenal, répond tranquillement
Lucien. Ça manque d'arbres.
Alors Mme Larivière, toujours sévère, hausse les
épaules en murmurant:
— Si ça vaut la peine de voyager! Ils ne connaissent
seulement pas les monuments... Allons, Hortense, assez de folies, mets-toi au comptoir.
Émile Zola
N°7 ― Le feuilleton du journal
Les trois jours, pendant lesquels Guépin, très affairé, fit attendre sa décision parurent à Paul une éternité. Il était trop discret pour se montrer à Florence, et passait comme une ombre dans l'escalier commun pour se rendre au lycée. Il avait le cœur battant d'angoisse, le cerveau rongé par l'incertitude. Il supputait ce que pouvaient produire tous ses efforts de travail. En dehors de ses trois mille huit cents francs d'appointements, il avait la répétition qu'il donnait au fils du préfet, et le cours de littérature du pensionnat de Mlle Magimel, en tout quatre mille neuf. Était-ce assez pour être agréé par Mlle Guépin ? Il se plaisait à mettre la fille du menuisier sur un piédestal. Il l'avait transfigurée. Ce n'était plus une gentille petite personne appartenant à la classe ouvrière de Beaumont, quelque chose comme une grisette. C'était une jeune princesse égarée dans un milieu qui n'était pas le sien, et sur lequel, par la grâce de ses charmes, elle rayonnait d'un éclat merveilleux. Le brave Paul était en pleine féérie. Il commençait à douter qu'il fût digne de sa bien-aimée, et cherchait avec angoisse quel homme, dans le département, serait en mesure d'épouser Florence, sans que celle-ci parût être une victime de la destinée.
— Mon cher enfant, interrompit Mgr Espérandieu, vous devenez étrangement prolixe, votre récit entamé avec sobriété commence à se noyer dans les développements.
— Ah ! Monseigneur, si vous ne me permettez pas de vous dépeindre mes personnages, comment puis-je espérer vous inté- resser à leurs aventures ?
— Il va donc y avoir des aventures ?
— Votre Grandeur ne croit pas qu'une préparation pareille ne servira à rien ? Je pensais que mes articles de la Semaine religieuse avaient donné à Monseigneur une opinion plus favorable de mes facultés imaginatives.
— Poursuivez donc, puisqu'il faut que je subisse vos explications...
— « Subisse » est dur... Eh bien. Monseigneur, puisqu'il en est ainsi, je vais passer sur les accordailles de Paul Daniel et de Florence Guépin, qui m'auraient fourni cependant la matière d'un petit tableau de la vie provinciale tout à fait piquant. Je comptais tirer parti du jardin ensoleillé, comme cadre, et de la margelle du puits, comme siège, pour asseoir mes amoureux. Vous voyez la belle jeune fille blonde, dans un rayon de lumière, et les pampres de la vigne grimpante verdissant au-dessus d'elle. Son fiancé presque à ses pieds... C'eût été très joli. Mais vous m'accuseriez de me perdre dans le détail... J'en viens donc tout de suite à l'évènement grave, à l'acte décisif, à la péripétie dramatique de cette histoire d'amour.
— Je ne peux pas vous exprimer combien je trouve choquante cette intrigue d'un homme destiné à être prêtre, dit Mgr Espérandieu. Ces passions mondaines jettent dans ma pensée un insurmontable discrédit sur l'abbé Daniel. Il me semble qu'il est impossible qu'un cœur qui a éprouvé des sentiments si violents, soit jamais pacifié.
— Ah ! Monseigneur, et les Saints : saint Paul, saint Augustin, et Marie-Magdeleine...
— Oui, mon enfant, sans doute, mais tous ces personnages sont jugés par nous, dans le lointain du passé, ils ne sont pas nos contemporains, nous avons devant l'esprit, en même temps que la connaissance de leurs fautes premières, l'exemple des vertus qu'ils montrèrent par la suite. Tandis que ce prêtre, qui a subi tous les entraînements des hommes, j'ai beau savoir que c'est un modèle de charité, de sagesse et de piété, j'ai toujours peur qu'à un moment donné les passions ne recommencent à bouillonner en lui et qu'il ne retourne à son vomissement... Je crois que vous avez tort de vouloir me faire pénétrer le mystère de sa vie passée : il n'aura qu'à y perdre.
— Non, Monseigneur, car nous arrivons aux évènements qui ont décidé de son entrée dans les ordres, et vous jugerez qu'un renoncement aussi complet aux espérances et aux joies humaines ne peut être que définitif.
— Avez-vous la prétention de me faire croire que la douleur d'avoir été supplanté par M. Lefrançois ait poussé Paul Daniel à un tel excès de désespoir qu'il se soit jeté dans le sein de l'Église, comme dans un précipice, pour y engloutir sa vie, sa pensée, ses regrets, tout de lui enfin ?
— Mais, Monseigneur, cela est; je n'aurai pas à vous le faire croire. Vous le croirez de vous-même et par la suite naturelle du récit. Vous êtes trop bien informé des choses de la religion pour ne pas savoir comJiien ces conversions sont courantes. ? N'a-t-on pas raconté qu'un soir, à la table du roi des Belges, pas celui d'aujourd'hui, le précédent; celui qui, chaque fois que son peuple s'agitait, commandait de faire ses malles, de sorte que les émeutes s'apaisaient comme par enchantement tant la Belgique avait peur de rester sans roi, — à la table donc de ce singulier monarque, il y avait des généraux et un évêque, Mgr de Mercy-Argenteau. On se mit à causer de l'armée, des soldats, des manœuvres. Le prélat parlait avec tant de compétence qu'on l'interrogea curieusement et il fut établi que, de tous les convives, dont la plupart commandaient des divisions, le prêtre seul avait fait campagne et vu le feu. Il est vrai que c'était comme colonel de hussards et sous Napoléon qui l'avait décoré de sa main. Ce brillant soldat avait eu le malheur de perdre sa fiancée qu'il adorait, et de chagrin il était entré dans les ordres. Je vous en citerais cent autres exemples, Monseigneur, et qui seraient tous aussi probants. Et je n'irai pas jusqu'à invoquer la Trappe comme argument, quoique ce soit de circonstance.
— Ah ! Richard, notre curé de Favières a en vous un avocat bien éloquent, dit Mgr Espérandieu. Mais je ne sais pas si vous lui rendez service en le défendant comme vous le faites. La prudence commanderait de biaiser et déterminer les choses en douceur, au lieu de pousser ce maire aux dernières extrémités par une résistance qui va l'exaspérer. Je me reprochais déjà d'avoir été, ce matin, trop autoritaire, et voilà, mon cher enfant, que vous l'êtes plus que moi.
— Oh ! Monseigneur, je ne suis rien, dit le jeune abbé avec une souriante humilité, rien que votre fidèle serviteur... Et, si vous me commandez de me taire, je ne prononcerai plus une parole.
Au même moment, une cloche au son voilé tinta dans la cour agitée par une main discrète. Le prélat se leva et regardant son secrétaire :
— Voici le déjeuner. Donnez-moi votre bras, Richard; à table vous me continuerez votre récit; car maintenant que vous l'avez commencé, je regretterais de n'en pas connaître la suite.
Et appuyé sur son favori, plus par affectueuse familiarité que par maladive faiblesse, l’Évêque se dirigea vers la salle à manger.