Menu haut

La nouvelle du Journal de 1897

 Figure de rhétorique - A. Silvestre

Figure de rhétorique

par Armand Silvestre

 
I
 

Après avoir épousé, devant les gens qui comptent en matière de mariage, la délicieuse Ursule de Château-Guignard, le baron Jean des Etoupettes s’était retiré dans ses terres de Normandie et y menait la vie solitaire à deux, d’un mari profondément épris de sa femme. Il y avait de quoi, morbleu ! Et même sous la douche matrimoniale, vous eussiez adoré, comme lui, cette créature à la fois belle et joyeuse, pleine de droiture et de santé, appétissante et cordiale, un vrai sourire de chair sur lequel volait sans cesse la poésie d’une chanson. Ah ! l’aimable fille avec ses grands yeux bleus regardant bien en face, sa bouche dont les moues elles-mêmes appelaient le baiser, sa main grassouillette et aristocratique de dessin toujours tendue, sa gorge dont les éclats de sa gaîté n’ébranlaient pas les marbres roses et vivants, ses reins cambrés dont l’arc avait les lignes pures de celui de Diane, son… non ! mais vous me laisseriez aller comme ça jusqu’à demain ! Et si le baron me giflait, iriez-vous vous battre pour moi ? C’est qu’il est fort jaloux, le baron ! Et il a tort. Car sachez que je viens de vous faire un conte. Je n’ai jamais vu ni les reins ni la gorge de Mme des Etoupettes qui est la plus vertueuse du monde ; seulement je les ai devinés, parce que la beauté de la femme a des logiques inflexibles et que l’homme d’expérience restitue à coup sûr, dans la splendeur de leur nudité, toutes les merveilles qu’elle nous cache et garde à son seul époux. Je vous ai fait un conte, mais je maintiens ce que j’ai dit. Un ménage fort heureux au demeurant. Le baron, qui avait servi dans la cavalerie, et avait, de plus, fréquenté les ateliers pendant qu’il tenait garnison à Paris, était sans morgue seigneuriale aucune et parlait volontiers le langage imagé que nos artistes ont hérité des aïeux. Les menus propos grassouillets n’étaient pas d’ailleurs pour faire peur à la jeune baronne qui riait de tout et était prodigieusement bonne enfant. Ce couple, sage et exempt de toute bégueulerie, menait une vie large et émaillée de mille petites fumisteries que le conjoint faisait à la conjointe et réciproquement. Car M. Jean des Etoupettes avait pris, dans le commerce des peintres et des sculpteurs, un goût immodéré pour les charges et l’avait fait partager à sa moitié. Voilà qui vaut d’ailleurs infiniment mieux que de s’occuper de politique.


II
 

Il était cinq heures du matin, et le baron passait ses habits de chasse. Ursule, qu’il avait réveillée en se levant, en profitait pour lui demander une paire de petits chevaux bretons, dont elle avait une envie folle depuis un mois. Pour la vingtième fois, le baron refusait avec énergie, ces bêtes entêtées et violentes (c’est des chevaux bretons, et non du baron que je parle) lui semblant les plus dangereuses du monde. Et comme Ursule insistait avec des impatiences d’enfant :
- Que j’aie le derrière peint en vert si je vous les donne jamais ! s’écria-t-il par manière de parler libre et pittoresque qui était dans ses façons habituelles.
- Ce n’est pas joli ce que vous dites-là, monsieur, se contenta de répondre Ursule, avec un air adorable de bouderie.
Le baron l’embrassa dans les cheveux, ce qui est exquis le matin quand la tête de la femme est encore tiède de sommeil et légèrement embroussaillée par les poses nonchalantes de la nuit. Puis il descendit au chenil, jura, siffla, rassembla ses chiens, fit boucler ces hautes guêtres par le garde, assura son fusil sous son bras et partit pour aller embêter d’innocents lapins en train de promener leurs petits museaux roses sur les fraîcheurs roséennes du thym. Dans ce belliqueux et utile exercice, il dépassa les frontières de son domaine, et il se trouvait notoirement sur celui de la commune, quand il entendit derrière lui un coup de feu. Une ou deux légères piqûres dans le gras des reins l’avertit en même temps que le chasseur n’avait pas perdu tout son plomb. Il aurait fallu voir les petits lapins rire aux larmes derrière la haie voisine !
- Fichu maladroit ! hurla le baron en se retournant.
Un homme venait à lui, se hâtant dans les raideurs d’un accoutrement tout neuf, avec un pince-nez en fourchette que le mouvement de sa course avait fait descendre ridiculement.
- Pardon, monsieur, vous aurais-je touché ?
- Certainement, imbécile.
- Ah ! mais pardon ! Quand je viens vous faire des excuses, je n’entends pas recevoir de gros mots.
- Vous êtes un animal !
- Et vous un malotru !
Ils marchèrent vivement l’un vers l’autre, en fouillant dans leur poche comme pour y trouver des cartes. Mais quand ils furent à cinq pas l’un de l’autre, ils ouvrirent simultanément leurs bras et s’enfermèrent dans une double étreinte :
- Mon cher Ventemol !
- Mon vieux des Etoupettes !
Ils étaient si grotesques que les petits lapins étaient obligés de mettre leurs pattes sur leurs ventres blancs pour ne pas éclater.

 
III
 

- Toujours myope, mon pauvre Ventemol ?
- Hélas ! Il y a longtemps que je serais chef d’escadron sans cela. Et toi ?
- Heureux et marié. J’habite à deux pas d’ici dans le château de mes pères. Au fait, nous allons déjeuner à l’auberge, mais tu viendras dîner ce soir à la maison et y passer la nuit.
- Impossible ! Crois-tu que je voudrais me présenter devant ta jeune femme dans cet accoutrement !
- Tu ne connais pas ma femme ! Un bon garçon comme toi et moi ! Meilleur que toi ! car jamais elle ne s’est permis de me tirer des coups de fusil où tu sais.
- Non ! mon ami, pour rien au monde je ne paraîtrais devant une châtelaine dans l’état où je suis.
- Eh bien ! nous allons arranger ça.
- Comment ?
- Tu es de ma taille et à fort peu près de ma « corporation » comme dit M. Schumann, mon tailleur. Tu te rappelles bien d’ailleurs qu’au régiment nous nous sommes souvent prêté nos uniformes.
- Après ?
- Nous ferons comme au régiment. Nous rentrerons sans bruit : Je te conduirai silencieusement dans ma chambre, sans prévenir la baronne de ton arrivée. Tu y trouveras de quoi changer de linge et tu revêtiras un de mes complets. Pendant ce temps, je donnerai un coup d’oeil au chenil. Puis je viendrai te reprendre. Tu seras tout battant neuf et mis comme un marguillier. Je te présenterai à la baronne qui ne reconnaîtra pas mes habits sur ton dos, et tout se sera passé, comme à la cour d’Espagne, dans toutes les rigueurs de l’étiquette.
- Soit ! dit Ventemol. Je serai heureux de connaître la femme qui a fixé pour jamais le volage des Etoupettes.
Ils s’éloignèrent en cheminant vers une façon de cabaret où l’on faisait de délicieuses omelettes au lard. A peine furent-ils partis que les petits lapins dépêchèrent des reporters dans tous les sens pour conter ce qu’ils avaient vu et entendu à leurs contemporains.

 
IV
 

Le baron a conduit le capitaine Ventemol dans sa chambre, lui a donné le choix entre plusieurs complets fort élégants et lui a ouvert l’armoire au linge. Après quoi il s’est retiré conformément à son programme. Ventemol a commencé sa toilette et en est venu au moment de passer une chemise. Le devant et les manches de celles qu’il a choisie sont maintenus en place par un nombre prodigieux d’épingles, si bien qu’après avoir enfilé les pans au-dessus de sa tête, le capitaine, qui n’a pas pris la précaution de retirer tous ces petits piquants, se trouve pris sous une façon de cloche dont le haut est fermé par l’empois et qu’il manie très difficilement sans se piquer, n’osant plus en sortir et ne parvenant pas à s’y insinuer complètement. Nous avons tous passé par ce genre de torture inventé par les blanchisseuses. Ladite façon de cloche descendait juste à la hauteur des hanches, de sorte que tout le reste de la personne de Ventemol, y compris ce qu’elle avait de plus charnu, était indécemment au vent, comme dans les images païennes d’Hercule et d’Apollon. Au-dessus de cette rotondité en plein air, un souffle léger et ironique, venu par la fenêtre et tout embaumé de l’âme des fleurs automnales, agitait mollement, comme une voile, le pan souple de la chemise. Tout à coup le capitaine, qui ne savait comment sortir de cette position ridiculement critique, se sentit rougir jusqu’au front, en entendant distinctement, dans le silence de son désespoir, un petit frôlement de pas et de jupes. Il retint son souffle pour ne pas attirer l’attention et demeura immobile. Mais bientôt, le délicieux frôlement étant venu jusqu’à lui et ayant brusquement cessé, il sentit quelque chose de très doux, comme une queue de blaireau, qu’on lui promenait au-dessous des reins dans tous les sens ; en même temps, il éprouva une impression humide sur toute la région de son individu ainsi caressée. Cela dura quelques secondes au plus, mais qui lui parurent une éternité, tant il était inquiet et intrigué de ce qui se passait. Les pas et la jupe reprirent leur chanson qui s’éteignit rapidement et que termina un éclat de rire déjà lointain, mais strident et joyeux comme un bruit de verre.
Se sentant enfin seul, Ventemol tira rageusement à lui les pans de sa chemise et, au risque de s’égratigner les bras et le visage y pénétra violemment ; passa une cravate, acheva de se vêtir et se trouva prêt quand le baron vint le reprendre en sifflant une fanfare joyeuse. Tout abasourdi de son aventure, il se garda bien néanmoins de la lui conter. C’était à la fois embarrassant, inutile et même imprudent. La présentation se fit le plus galamment du monde. Au dîner, Ventemol, qui était physionomiste, ne fut pas sans remarquer que la baronne avait toujours envie de rire en regardant son mari et qu’un éclair de moquerie douce passait alors dans ses yeux.


V
 

- Eh bien, mon chéri, j’aurai mes petits chevaux bretons ?
- Par exemple ! moins que jamais, ma chère Ursule !
- Vous ne vous rappelez donc pas ce que vous m’avez dit ce matin ?
- Moi ? Et quoi donc ?
- Vous avez dit que je les aurais le jour où vous auriez…, vous savez bien ! peint en vert. Une de vos expressions favorites.
- Et puis, après ?
- Eh bien, mon mignon, pendant que je retire mes bas pour me mettre au lit, au lieu de m’y aider, comme à l’ordinaire, allez-vous en du côté de la glace et, laissant choir votre pantalon, regardez-y l’envers de votre personne.
Le baron, très intrigué, obéit.
- Je ne vois, dit-il, que la trace des deux grains de plomb que cette buse de Ventemol y a logés.
La baronne, plus intriguée encore, accourut. Elle parut surprise en apercevant l’image aussi blanche qu’une botte de lis.
- Vous avez donc pris un bain ? s’écria-t-elle.
- Moi ? par exemple ! et à quel moment ?
- C’est vrai ! mais alors ?... Vous ne vous êtes aperçu de rien dans la chambre pendant que vous vous débattiez contre votre chemise ?
- Moi ! mais de rien absolument.
- Ah ! c’est trop fort et vraiment indigne ! Vous tenez un vilain propos et je vous prends au mot pour obtenir une chose que je désire ardemment. J’arrive, à force d’adresse et de ruse, à réaliser votre malpropre idée, et vous faites, je ne sais comment, disparaître mon ouvrage. C’est de la mauvaise foi ça, monsieur, et je les ai gagnés, mes petits chevaux, loyalement gagnés, malgré l’air bête que vous prenez pour faire celui qui ne comprend rien ! Et je les veux, entendez-vous, parce que vous avez juré et que ce que vous avez dit a été fait.
Et, prise de colère enfantine, elle trépignait de ses jolis pieds nus sur le tapis.
- Ma femme a bu une pointe de champagne de trop ! se dit philosophiquement le baron Jean des Etoupettes. Mais Ursule le bouda toute la nuit, ce qui lui fut spécialement désagréable, parce qu’il se sentait plein d’imagination conjugale.
Le lendemain matin quand il entra dans la chambre de Ventemol, il trouva celui-ci, pâle comme un mort, assis dans son lit grand ouvert, immobile et comme stupéfié, dans une contemplation douloureuse.
Au milieu des draps, à l’endroit juste où avait posé le mitan de la personne du capitaine, imaginez un paysage d’un vert cru, éclatant et impitoyable à l’oeil.
- Je ne sais pas ce que j’ai eu cette nuit, dit d’une voix dolente le capitaine à son ami, en lui montrant ce faux Hanoteau, mais je dois être bien malade.
Le baron Jean des Etoupettes se frappa le front et sorti atterré, sans dire un mot. Avait-il deviné de quelle erreur la malice innocente de la baronne avait été victime ?.. Toujours est-il qu’il abandonna son juron favori et ne retint pas Ventemol à déjeuner ce jour-là.

Armand Silvestre
(Histoires belles et honnestes) - 1883


N°7 ― Le feuilleton du journal

 Il ferma la porte

Les trois jours, pendant lesquels Guépin, très affairé, fit attendre sa décision parurent à Paul une éternité. Il était trop discret pour se montrer à Florence, et passait comme une ombre dans l'escalier commun pour se rendre au lycée. Il avait le cœur battant d'angoisse, le cerveau rongé par l'incertitude. Il supputait ce que pouvaient produire tous ses efforts de travail. En dehors de ses trois mille huit cents francs d'appointements, il avait la répétition qu'il donnait au fils du préfet, et le cours de littérature du pensionnat de Mlle Magimel, en tout quatre mille neuf. Était-ce assez pour être agréé par Mlle Guépin ? Il se plaisait à mettre la fille du menuisier sur un piédestal. Il l'avait transfigurée. Ce n'était plus une gentille petite personne appartenant à la classe ouvrière de Beaumont, quelque chose comme une grisette. C'était une jeune princesse égarée dans un milieu qui n'était pas le sien, et sur lequel, par la grâce de ses charmes, elle rayonnait d'un éclat merveilleux. Le brave Paul était en pleine féérie. Il commençait à douter qu'il fût digne de sa bien-aimée, et cherchait avec angoisse quel homme, dans le département, serait en mesure d'épouser Florence, sans que celle-ci parût être une victime de la destinée.

— Mon cher enfant, interrompit Mgr Espérandieu, vous devenez étrangement prolixe, votre récit entamé avec sobriété commence à se noyer dans les développements.

— Ah ! Monseigneur, si vous ne me permettez pas de vous dépeindre mes personnages, comment puis-je espérer vous inté- resser à leurs aventures ?

— Il va donc y avoir des aventures ?

— Votre Grandeur ne croit pas qu'une préparation pareille ne servira à rien ? Je pensais que mes articles de la Semaine religieuse avaient donné à Monseigneur une opinion plus favorable de mes facultés imaginatives.

— Poursuivez donc, puisqu'il faut que je subisse vos explications...

— « Subisse » est dur... Eh bien. Monseigneur, puisqu'il en est ainsi, je vais passer sur les accordailles de Paul Daniel et de Florence Guépin, qui m'auraient fourni cependant la matière d'un petit tableau de la vie provinciale tout à fait piquant. Je comptais tirer parti du jardin ensoleillé, comme cadre, et de la margelle du puits, comme siège, pour asseoir mes amoureux. Vous voyez la belle jeune fille blonde, dans un rayon de lumière, et les pampres de la vigne grimpante verdissant au-dessus d'elle. Son fiancé presque à ses pieds... C'eût été très joli. Mais vous m'accuseriez de me perdre dans le détail... J'en viens donc tout de suite à l'évènement grave, à l'acte décisif, à la péripétie dramatique de cette histoire d'amour.

— Je ne peux pas vous exprimer combien je trouve choquante cette intrigue d'un homme destiné à être prêtre, dit Mgr Espérandieu. Ces passions mondaines jettent dans ma pensée un insurmontable discrédit sur l'abbé Daniel. Il me semble qu'il est impossible qu'un cœur qui a éprouvé des sentiments si violents, soit jamais pacifié.

— Ah ! Monseigneur, et les Saints : saint Paul, saint Augustin, et Marie-Magdeleine...

— Oui, mon enfant, sans doute, mais tous ces personnages sont jugés par nous, dans le lointain du passé, ils ne sont pas nos contemporains, nous avons devant l'esprit, en même temps que la connaissance de leurs fautes premières, l'exemple des vertus qu'ils montrèrent par la suite. Tandis que ce prêtre, qui a subi tous les entraînements des hommes, j'ai beau savoir que c'est un modèle de charité, de sagesse et de piété, j'ai toujours peur qu'à un moment donné les passions ne recommencent à bouillonner en lui et qu'il ne retourne à son vomissement... Je crois que vous avez tort de vouloir me faire pénétrer le mystère de sa vie passée : il n'aura qu'à y perdre.

— Non, Monseigneur, car nous arrivons aux évènements qui ont décidé de son entrée dans les ordres, et vous jugerez qu'un renoncement aussi complet aux espérances et aux joies humaines ne peut être que définitif.

— Avez-vous la prétention de me faire croire que la douleur d'avoir été supplanté par M. Lefrançois ait poussé Paul Daniel à un tel excès de désespoir qu'il se soit jeté dans le sein de l'Église, comme dans un précipice, pour y engloutir sa vie, sa pensée, ses regrets, tout de lui enfin ?

— Mais, Monseigneur, cela est; je n'aurai pas à vous le faire croire. Vous le croirez de vous-même et par la suite naturelle du récit. Vous êtes trop bien informé des choses de la religion pour ne pas savoir comJiien ces conversions sont courantes. ? N'a-t-on pas raconté qu'un soir, à la table du roi des Belges, pas celui d'aujourd'hui, le précédent; celui qui, chaque fois que son peuple s'agitait, commandait de faire ses malles, de sorte que les émeutes s'apaisaient comme par enchantement tant la Belgique avait peur de rester sans roi, — à la table donc de ce singulier monarque, il y avait des généraux et un évêque, Mgr de Mercy-Argenteau. On se mit à causer de l'armée, des soldats, des manœuvres. Le prélat parlait avec tant de compétence qu'on l'interrogea curieusement et il fut établi que, de tous les convives, dont la plupart commandaient des divisions, le prêtre seul avait fait campagne et vu le feu. Il est vrai que c'était comme colonel de hussards et sous Napoléon qui l'avait décoré de sa main. Ce brillant soldat avait eu le malheur de perdre sa fiancée qu'il adorait, et de chagrin il était entré dans les ordres. Je vous en citerais cent autres exemples, Monseigneur, et qui seraient tous aussi probants. Et je n'irai pas jusqu'à invoquer la Trappe comme argument, quoique ce soit de circonstance.

— Ah ! Richard, notre curé de Favières a en vous un avocat bien éloquent, dit Mgr Espérandieu. Mais je ne sais pas si vous lui rendez service en le défendant comme vous le faites. La prudence commanderait de biaiser et déterminer les choses en douceur, au lieu de pousser ce maire aux dernières extrémités par une résistance qui va l'exaspérer. Je me reprochais déjà d'avoir été, ce matin, trop autoritaire, et voilà, mon cher enfant, que vous l'êtes plus que moi.

— Oh ! Monseigneur, je ne suis rien, dit le jeune abbé avec une souriante humilité, rien que votre fidèle serviteur... Et, si vous me commandez de me taire, je ne prononcerai plus une parole.

Au même moment, une cloche au son voilé tinta dans la cour agitée par une main discrète. Le prélat se leva et regardant son secrétaire :

— Voici le déjeuner. Donnez-moi votre bras, Richard; à table vous me continuerez votre récit; car maintenant que vous l'avez commencé, je regretterais de n'en pas connaître la suite.

Et appuyé sur son favori, plus par affectueuse familiarité que par maladive faiblesse, l’Évêque se dirigea vers la salle à manger.

GEORGES OHNET
A suivre...
menu-bas