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Dans l'actualité des ...

 22 janvier

Vendredi
22 janvier 1897

Blessé par un bicycliste.

Un jeune homme de dix-neuf ans, M. Pierre Lobersky, traversait, hier matin, la place Saint-Michel, lorsque, eu voulant se garer d'un omnibus, il fut renversé par un bicycliste qui venait en sens inverse. M. Lobersky fit une chute si malheureuse qu'il se fractura la jambe. On a dû le transporter à l'Hôtel-Dieu.

Le procès-verbal d'usage a été dressé contre l'auteur de l'accident.


Le Président de la République a beaucoup admiré, on le sait, l'aquarelle de M. Édouard Detaille sur la Revue de Châlons, lorsqu'elle lui fut présentée à l'Élysée avant d'être expédiée à Saint-Pétersbourg.

Très sensible à l'admiration présidentielle, M. Édouard Detaille a voulu que M. Félix Faure possédât un souvenir de lui, et il lui a fait parvenir un magnifique « chasseur ».

Mais ce chasseur-là ne fera pas concurrence au Président de la République dans les tirés de Marly c'est un chasseur alpin, bien campé, martial, comme Detaille les sait faire.


Lutter contre la dépression des forces et la mollesse des fonctions, voilà le labeur ordinaire de l'art médical, surtout pendant la saison froide et humide. Les corps savants ont, actuellement, en grande faveur l'emploi du Vin Bravais, parce que ce vin n'est point un stimulant banal, à action fugace et transitoire mais un tonique à longue portée, dont le pouvoir reconstituant s'exerce à la fois sur le sang, sur la nutrition, sur les muscles et sur les nerfs.


De Nice

Grâce au Riviera-Palace, voilà Cimiez définitivement classé non seulement comme station climatérique, mais aussi comme station élégante. Et cette fois la mode est complètement d'accord avec la raison et l'hygiène. La situation du Riviera-Palace ni trop près de la ville ni trop avant dans la montagne et les innombrables ressources hospitalières dont il dispose font rechercher ce magnifique établissement de tous les hiverneurs intransigeants sur le chapitre du confortable.


Les services de luxe organisés par la Compagnie internationale des Wagons-Lits avec le concours du Nord, du P.-L.-M. ou des Compagnies étrangères tels le Calais-Méditerranée-Express, le Méditerranée-Express et le Vienne-Nice -Express sont dans leur pleine saison. A ajouter à cette liste le Marseille-Nice-Express, qui fonctionne depuis quelques jours pour la plus grande commodité des amis du littoral.

 23 janvier

Samedi
23 janvier 1897

ÉCHOS DE PARIS

Paris a été hier, pendant toute la matinée, recouvert d'un manteau de neige.

Le soleil pâle mais assez chaud est apparu vers midi et le pavé blanc s'est changé tout à coup en un pavé boueux particulièrement désagréable pour les piétons.

Puis un vent vif, celui qu'on appelle en Russie le vent d'aiguille, a soufflé violent, rougissant impertinemment le nez des belles promeneuses. Les cochers, toujours aimables, refusaient naturellement de recevoir ces mignonnes voyageuses, dont quelques-unes durent avoir recours aux sergents de ville pour obliger les automédons à les conduire, là où elles voulaient aller. Quant aux omnibus et aux tramways, ils étaient pris d'assaut, si bien que vers une heure de l'après-midi, spectacle assez curieux, les rues étaient à peu près désertes et les boulevards inanimés.

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Dans la soirée, nous avons vu le verglas ! Aimable verglas !

II a choisi habilement les endroits où il s'étendrait, dans les grandes voies larges où l'air glacé s'écoule puissamment, et dans les carrefours où les courants d'air se glissent sournoisement au détour des rues. Le pavé en bois lui offre un lit préféré il s'y étend, lisse comme un miroir. Là-dessus, les pauvres chevaux patinent sur leurs fers, les jambes raidies, puis s'abattent, et ne se relèvent qu'après vingt tentatives vaines. Les piétons marchent en posant prudemment les pieds, et les cyclistes perdus ripent au virage et « ramassent la pelle ». Des piétons les imitent.

Ce matin, l'administration aura transformé à l’aide de sel le verglas dangereux, mais sec, en lacs de boue liquide et noire.


Mme Félix Faure, légèrement indisposée, ne pourra donner aujourd'hui sa réception habituelle.


Aujourd'hui, le président de la République et Mme Félix Faure assisteront, à l'hôtel Continental, au bal annuel de la Société amicale des anciens élèves de l'École polytechnique.


On annonce de Wurzbourg la publication prochaine de nouvelles et importantes découvertes du professeur Rœntgen, le célèbre inventeur des rayons X, qui tient, parait-il, en réserve, de sensationnels résultats de ses recherches scientifiques.


L'impératrice d'Autriche restera au Cap-Martin jusqu'au 15 mai; elle se rendra ensuite à Corfou.

Son yacht Miramar, à bord duquel la souveraine fera des croisières sur les cotes, arrivera le 8 février à Menton.


M. Hervé Faye, membre de l'Institut, président du bureau des longitudes, a remis, hier soir, au ministre de l'instruction publique l'annuaire du bureau des longitudes pour 1897.

Dans la conversation, l'éminent savant dont on célèbre, lundi, le cinquantenaire de l'élection l'Académie des sciences, a entretenu le ministre de l'adoption du méridien de Greenwich mis à l'ordre du jour de la Chambre.

Le bureau des longitudes est complètement opposé à cette mesure, qui ne serait favorable qu'aux intérêts d'un seul peuple.  


LE DRAME DE LA RUE DE LA BANQUE

On se souvient d'un garçon de cuisine nommé Leymarie, qui, il y a un mois et demi, tira plusieurs coups de revolver sur un gardien de la paix du deuxième arrondissement, l'agent Mireux, qui fut assez sérieusement blessé.

Le rapport des médecins aliénistes conclut a la complète irresponsabilité du détenu et Leymarie a été, hier, définitivement interné à l'asile de Sainte-Anne. Quant à Mireux, il n'est pas encore complètement rétabli. Il a été mandé chez le médecin en chef de la .préfecture de police, car il va être mis pour un temps indéterminé en congé de convalescence.

La balle qu'il a reçue n'a pu être extraite. On ne sait où elle se trouve, malgré les recherches faites à l'aide des rayons X.


A travers les livres

Henri Lavedan est un des « dialogueurs » favoris du public. Mais jamais la finesse, la profondeur des réparties qu'il prête à ses personnages ne se sont affirmées avec plus de maîtrise que dans le Nouveau jeu, roman dialogué d'un bout à l'autre.

 24 janvier

Dimanche
24 janvier 2013

LE DÉPUTÉ MUSULMAN

Conformément aux conclusions du rapport de la sous-commission d'examen, le premier bureau de la Chambre s'est prononcé, hier, il l'unanimité, pour la validation de M, le docteur Grenier, après avoir constaté que, malgré les apparences extérieures, le député musulman de Pontarlier est de nationalité française, ainsi que l'établissent les documents d'identité qui lui ont été demandés et qu'il à produits.

M. Bovier-Lapierre, qui est chargé du rapport, a reçu mandat de reproduire dans ce dernier la constatation ainsi faite par le bureau.


Le, grand-duc Pierre de Russie, oncle du tsar, est arrivé,- hier soir, à Beaulieu avec la grande-duchesse et ses deux enfants.


M. Pierre Baudin, président du conseil municipal, qui était parti dans le Midi après la clôture de la session, rentrera aujourd'hui à Paris.


Le président du Sénat et Mme Loubet recevront à diner, au Petit-Luxembourg, le 20, février, les membres des bureaux des Chambres et les ministres.

Ce diner sera suivi d'une réception.


De Monte-Carlo

La Société des Bains de mer de Monaco vient de renouveler son traité avec M. Raoul Gunzbourg, directeur du théâtre de Monte-Carlo, pour plusieurs années.


En médecine, a dit Hippocrate, il ne faut pas seulement éliminer, mais déraciner le mal. L'eau de Pougues n'élimine pas seulement les graviers, mais elle en déracine les causes qui sont, suivant Littré, la dyspepsie et l'altération du sang.


L'impératrice Eugénie n'a pas encore quitté Paris, contrairement à ce qu'ont dit certains de nos confrères, car hier nous l'avons rencontrée chez Paul Tesnier, le tapissier-antiquaire bien connu de la rue de l'Université, où elle a acheté différents meubles anciens. M. Tesnier a d'ailleurs su réunir une quantité de meubles de style, tentures et tapisseries, véritables merveilles de l'art ancien, que les amateurs ne se lasseront pas d'admirer dans une visite prolongée.


Il ne faut jamais laisser passer une bonne occasion de rire. Jules Lévy, docteur es gaité, vient de donner une nouvelle ordonnance. Les hypocondriaques seront à jamais guéris après la lecture de Tout à la rigolade que l'éditeur Ernest Flammarion vient de mettre en vente dans la collection des auteurs gais. H.-P. Dillon a revêtu le volume de Jules Lévy d'une somptueuse couverture artistique.


Le remarquable bas-relief en marbre blanc, du sculpteur Puech, la Seine, dont le conseil général avait voté l'acquisition, vient d'être placé dans la salle des délibérations du tribunal e commerce, en souvenir des dix-sept années d'exercice de M. le président Dervillé.

Cette œuvre fera pendant aux armes du président à mortier Denis Talon, qui furent données par M. Édouard Naud, juge au tribunal de commerce, propriétaire actuel des ruines du château d'lssy, et mises en place par les soins de M. Dervillé.


Le président de la République, accompagné de Mlle-Lucie Faure, du général Tournier, des commandants Moreau et Bourgeois et du lieutenant de vaisseau Serpette, s'est rendu hier, à onze heures, à l'hôtel Continental, où se donnait le bal de l'Association des anciens élèves de l'École polytechnique.

Mme Félix Faure, qui, malgré son indisposition, avait espéré assister à cette fête, a dû y renoncer au dernier moment.


Pastilles Poncelet

N°2 ― Le feuilleton du journal

 M. Lefrançois baissa de nouveau la tête

M. Lefrançois baissa de nouveau la tête, non par humilité, mais par prudence. Il sentit la nécessité de dissimuler à Mgr Espérandieu la contraction atroce de ses mâchoires qui se serrèrent comme celles d'un loup. Ses mains nouées firent craquer leurs phalanges, et d'une voix qui s'enrouait de colère, il dit :

— Je vois bien. Monseigneur, que votre parti est pris, mais le mien aussi. Je ne me laisserai pas faire la guerre sans me défendre. Vous allez déchaîner le scandale. Le curé de Favières s'est jeté très imprudemment dans des affaires de construction, pour l'École libre, qui le mèneront loin s'il n'est pas aidé puissamment par vous... Car il est inutile qu'il compte sur la municipalité. Nous sommes comptables des deniers de nos commettants et nous ne les emploierons pas à subventionner des entreprises hostiles au gouvernement... Nous sommes républicains à Favières...

— Eh ! monsieur le maire, dit le prélat, on l'est aussi à l'Évêché... Vous savez bien que nous ne faisons pas d'opposition.

— Je sais, Monseigneur, que vous êtes très fin, et que vous conduisez très habilement votre barque...

— C'est celle de saint Pierre, qui était un pauvre pêcheur, et, comme tous les apôtres, un homme du peuple. Monsieur le maire, le clergé a pour premier devoir d'être humble et de se rapprocher des humbles. Les heureux de la terre n'ont pas besoin de lui, tandis que les déshérités, les souffrants, les désespérés sont ses clients habituels. Qui s'occupera des petits enfants et qui les instruira si les curés ne s'en chargent pas ?

— Nous, Monseigneur.

— Oui, mais vous ne leur apprendrez pas à faire leur prière. La culture de l'esprit est excellente, mais celle de l'âme est indispensable. Quelle douleur pour nous de voir que l'éternel malentendu persiste et que vous et vos amis vous demeuriez convaincus qu'il est impossible d'être bon républicain tout en allant à la messe ! Voyons, mon cher monsieur Lefrançois, vous qui avez une véritable supériorité intellectuelle, ne donnerez-vous pas l'exemple de la modération et de la conciliation ? Ce serait un beau rôle à jouer, et digne de vous tenter.

— Que diraient mes électeurs ?

— Est-ce donc uniquement pour satisfaire votre parti que vous pensez, que vous agissez ? Ah ! monsieur le maire, vous voulez être conseiller général, puis député... Et c'est mon pauvre curé de Favières que vous méditez d'offrir en holocauste à vos sectaires de l'arrondissement... pour, sa tête à la main, demander ce salaire !... Non ! Vous ne l'aurez pas !

L'évêque riait, mais une émotion savamment dissimulée faisait trembler sa voix. Il leva sa main fine, ornée de l'anneau pastoral, et menaçant le maire avec un geste gracieux

— Prenez garde ! Je recruterai des alliés contre vous, dans votre propre maison. La charmante Mme Lefrançois ne fera pas cause commune avec tous vos affreux radicaux. Je la mettrai dans mes intérêts, et je la crois très puissante...

— Ma femme ne sera pas si sotte que de se mêler à ces affaires, grogna le maire. Elle sait à quoi s'en tenir sur mes sentiments à l'égard du curé, et tout ce qu'elle pouvait tenter en sa faveur elle l'a essayé. Elle le connaît de longue date... Elle sait qu'il me hait. Si vous comptez sur son appui. Monseigneur, vous vous trompez singulièrement. Au fond, je crois qu'elle ne serait pas fâchée de voir partir l'abbé Daniel...

— Comment ! les femmes elles-mêmes le lapideraient, ce pauvre enfant ? Voyons, monsieur Lefrançois, combien doit-il ? Vous devez connaître le chiffre, vous y avez intérêt.

— Monseigneur, le curé de Favières a répondu pour quarante-deux mille francs, sur lesquels il n'a pas le premier sou... Si vous connaissez un banquier qui les lui prêtera avec sa soutane comme seul gage, indiquez-le-lui, il en est temps...

— Quarante-deux mille francs ! Et qui sont dus ?

— A de petits entrepreneurs : maçons, menuisiers, peintres...

— Ces braves gens attendront...

— Ils attendent déjà, depuis deux ans... Voulez-vous, Monseigneur, voir saisir votre curé ? Ce sera un spectacle édifiant !

— Monsieur le maire, dit Mgr Espérandieu avec gravité, si j'avais la somme nécessaire, l'abbé Daniel la recevrait demain pour faire face à ses engagements; mais je suis pauvre. Cet argent a été dépensé pour la gloire de Dieu, soyez sûr que Dieu y pourvoira.

— Amen ! dit le maire, avec un ricanement.

Il se leva, ramassa son chapeau, frappa le tapis de son bâton, et se courbant ironiquement devant l'évêque :

— Monseigneur, vous vous rappellerez, un jour, que j'étais venu vous apporter la paix et que vous l'avez repoussée.

— Parce que vous me l'avez offerte au prix d'une injustice.

— Vous regretterez votre refus, mais il sera trop tard.

— Monsieur le maire, ma conscience sera toujours en repos. Je souhaite qu'il en soit de même de la vôtre.

Il se leva, fit à son dur interlocuteur un signe de tête, pour indiquer que l'audience était terminée, et svelte, dans sa robe violette, glissant plutôt que marchant, il le reconduisit jusqu'à la porte. Là, comme le maire radical lui lançait un dernier regard de marchandage, il sourit, et de ses doigts évangéliquement réunis, il lui envoya sa bénédiction. Lefrançois se secoua, comme s'il avait été chargé d'un mauvais sort, il grommela quelques paroles, qui n'étaient ni bienveillantes ni révérencieuses, et hors de la présence de l'évêque il descendit l'escalier de l'Évêché, et regagna son cabriolet qui l'attendait dans la cour.

GEORGES OHNET
A suivre...
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