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Dans l'actualité des ...

 30 mars Mardi

Mardi
30 mars 1897

Dans l'après-midi d'hier, à quatre heures, le président de la République a reçu le duc de Cambridge, cousin de la reine d'Angleterre, et lui a rendu sa visite à cinq' heures et demie.

 

Entre temps, MM. Édouard Hervé, directeur, Anatole France, chancelier, et Gaston Boissier, secrétaire perpétuel de l'Académie française, avaient présenté à M. Félix Faure le marquis Costa de Beauregard, élu membre de la Compagnie le 28 février dernier.


Si les rois, jadis, épousaient des bergères, les. princesses, aujourd'hui, préfèrent les Millionnaires.

D'après le World, il serait question, à Londres, d'un prochain mariage entre la princesse Victoria, seconde fille du prince de Galles, seule de ses enfants qui ne soit pas mariée, et le richissime Américain, M. William Astor, propriétaire de la Pall Mall Gazette, lequel serait, pour l'occasion, créé duc.

Le nouvel époux deviendrait ainsi le beau-frère du duc de Fife, marié à l'aînée des filles du « Prince of Wales », qui descendant d'une famille Duff, ne fut créé comte du Royaume-Uni qu'en 1885 et, duc qu'eu 1889.


Plus que jamais Madagascar est d'actualité. L'exil de la reine, les complots anglo-protestants, le débat engagé devant les Chambres, rendent indispensable la lecture du curieux et précieux volume de notre confrère Émile Blavet « Au Pays malgache », qui continue à s'enlever en librairie.


Par décret du mikado, empereur du Japon le président de la République reçoit le grand-cordon de l'ordre du Chrysanthème; M. Hanotaux, l'amiral de Beaumont, commandant, l'escadre française d'Extrême-Orient, et le général de Boisdeffre sont nommés grand-croix du Soleil levant, et, enfin, l'amiral Sallandrouze de Lamornaix grand-cordon du Trésor sacré.


La route de Madagascar.

Des dépêches du parquet de Charleville signalent aux commissaires spéciaux des gares de chemins de fer A Paris la fugue de deux collégiens appartenant à d'honorables familles de cette ville.

Ces deux jeunes gens, André Siméoni, dix-sept ans, et Louis Becquart, quinze ans, ont réussi, on ne sait comment, à se procurer une somme de 500 francs et, avant de partir, samedi soir, ont raconté qu'ils avaient l'intention d'aller s'embarquer a Marseille à destination de Madagascar.

 31 mars

Mercredi
31 mars 1897

ACCIDENT MORTEL

Un vieillard de soixante ans, Jean Gallier, nettoyeur de rails, a été victime, avant-hier, après midi, rue du Faubourg-Saint-Antoine, d'un accident qui a eu pour lui les plus funestes conséquences.

Ce pauvre homme poussait devant lui l'instrument servant à nettoyer l'intérieur des rails, lorsqu'arriva sur lui le tramway faisant le trajet du Louvre' à Vincennes. Le malheureux, qui était très sourd, n'entendit pas les appels de la trompe. Le cocher ne put arrêter à temps son attelage et le vieillard, renversé par le timon, eut la jambe droite broyée au-dessus du genou par les roues de la lourde voiture.

Gallier fut transporté à l'hôpital Saint-Antoine où l'amputation fut pratiquée sur-le-champ. Quelques heures plus tard; il rendait le dernier soupir.


Demain jeudi, de 3 h. à 6 h., concert dans la salle des fêtes des Grands Magasins Dufayel. Séance du Cinématographe Lumière. Tableaux animés et scènes parlées par M. Darthenay. Il sera offert à toute personne assistant à une séance un étui de Suprêmes Pernot. Exposition de mobiliers par milliers toujours prêts à être livrés, articles de chauffage, de ménage, literie, articles de jardin, etc., etc. Le succès toujours croissant de cet établissement est dû à la bonne qualité et au bon marché exceptionnel de ses marchandises.


Nansen à Rouen

Rouen. Nansen est arrivé aujourd'hui, à 3 h. 1/2, désireux, a-t-il dit en acceptant l'invitation de la Société de géographie, de renouer connaissance avec « ses cousins les Normands ».

L'explorateur a été reçu officiellement à la gare par la municipalité et par le consul de Suède et Norvège. La foule l'a acclamé sur tout le parcours de la gare à l'Hôtel de Ville.

Après une courte réception à la mairie, Nansen a visité, le palais de Justice, la statue de Rollon, la Grosse Horloge, où les enfants des écoles ont poussé des hourras, et enfin la cathédrale où il a été reçu par Mgr Sourrieu, archevêque de Rouen, Des bouquets ont été offerts a Mme Nansen. Dans la soirée, le Tout-Rouen avait envahi le théâtre pour écouter la conférence de l'orateur qui, au milieu d'applaudissements enthousiastes, a raconté son voyage au pôle Nord.


TONIFIER SANS IRRITER

Voilà le programme du toni-nutritif digne de ce nom. Ce programme a été fort bien rempli, de nos jours, par le Vin Désiles, dont tous les principes reconstituants et revivifiants se pénètrent, s'équilibrent et se pondèrent par une association scientifiquement antidiathésique. Dans tous les dépérissements chroniques, dans les anémies graves, dans les bronchites anciennes, d'une si désespérante ténacité, l'emploi du Vin Désiles vient à la rescousse des médications spécifiques. Employé seul, à la dose de deux verres à madère chaque jour, le Vin Désiles ranime les nutritions défaillantes ou incomplètes. La maigreur et la pâleur des enfants, les palpitations et les retards de la jeune fille, les crampes d'estomac réfractaires aux meilleurs traitements, le vice lymphatique ou chloro-anémique, qui sert de tremplin aux évolutions des plus graves maladies constitutionnelles, trouvent dans le toni-nutritif moderne un précieux médicament-aliment.

Dr  Cendre.
 1er avril

Jeudi
1er avril 1897

Accompagné du ministre du commerce, du général Tournier et de M. Blondel, le président de la République, qui fut longtemps membre du conseil de perfectionnement du Conservatoire des Arts et Métiers, s'y est rendu hier soir à neuf heures et demi, à l'improviste, afin d'assister au cours de M. Yungfleisch, sur la chimie agricole dans ses rapports avec l'industrie.


Les membres de la colonie mauricienne doivent offrir, mercredi prochain, au restaurant Marguery, un banquet à sir Charles Bruce, qui vient d'être nommé gouverneur de l'ile Maurice.


A partir de lundi prochain 5 avril, les musées du Luxembourg et du Louvre seront ouverts de neuf à cinq heures; les manufactures de Sèvres et des Gobelins, de midi à cinq heures; les musées de Cluny et de Versailles, de onze heures à cinq.


Lundi prochain, probablement, sera soumis au conseil municipal le rapport de M. Caplain, tendant à donner des noms aux nouvelles rues de Paris.

Contrairement à l'avis de l'administration des Postes, qui repousse, par crainte de confusion dans les distributions des lettres, les noms de villes françaises, la nouvelle partie de la rue Mouffetard s'appellera rue Bazeilles. La voie récemment ouverte de la rue Condorcet à la rue Pétrelle sera baptisée rue Lentonnet, du nom du lieutenant-colonel mort à Madagascar le prolongement de la rue du Conservatoire deviendra rue Ambroise-Thomas.

Sur la proposition de M. Caplain, la commission a décidé que les dates de naissance, de décès et les professions des personnages jugés dignes des honneurs municipaux seraient inscrites sur les nouvelles plaques.

Rappelons, à ce propos, que l'apposition de ces rectangles émaillés représente une dépense annuelle de six mille francs.


Le Journal des Sports, tel est le nouveau titre adopté, à partir d'aujourd'hui, par notre confrère Paris-Vélo. L'extension considérable prise par les différentes branches de sport justifie cet heureux changement, et, pour satisfaire aux exigences d'une clientèle toujours plus nombreuse, notre confrère publie chaque jour plusieurs éditions, afin d'arriver bon premier dans toute la France, avec les dernières informations sportives du monde entier. Signe des temps Qui eût prévu qu'un journal de sports arriverait à faire paraître plusieurs éditions chaque jour!


M. Lépine, préfet de police, a présidé, hier soir, le banquet de l'Association des Lyonnais, Des toasts ont été portés, au champagne, par MM. Charavay, Pierre Nicolas, Fleury-Ravarin, député. Le diner a été suivi d'un concert.


Le banquet annuel de l'École d'horlogerie de Paris aura lieu dimanche, prochain 4 avril, dans les salons de l'hôtel Continental, sous la présidence de M. Boucher, ministre du commerce.


Pastilles Poncelet

N°5 ― Le feuilleton du journal

 Celui-ci ne prévoyait pas alors

Celui-ci ne prévoyait pas alors qu'il pourrait avoir des ambitions politiques. Il vendait des grains, comme avait fait son père, et courait les fermes du département, pour profiter des moments de gêne pendant lesquels il savait que les cultivateurs seraient obligés de vendre au-dessous du cours. Il gagnait de l'argent, à ce métier, mais il ne gagnait pas d'estime. On l'appelait volontiers « mangeur d'hommes ». Il n'en avait cure, car déjà, dans sa jeunesse, il était peu sensible au qu'en-dira-t-on et ne s'occupait que de lui-même. C'était un gars de trente ans, sec, petit, au regard jaune, à la mâchoire féroce. Comme on dit dans le peuple : il marquait mal. Mais il était en route pour la fortune. Un beau jour il songea que si le commerce des grains présentait de beaux avantages, le commerce de l'argent en présentait de bien plus sérieux, et au lieu d'acheter les récoltes engrangées, il se mit à prêter sur les récoltes sur pied. Le résultat ne se fit pas attendre. Ses capitaux, qui jusque-là lui avaient rapporté dix pour cent, commencèrent à lui rapporter vingt. Il s'établit à Beaumont, fonda la maison de banque Lefrançois, qui maintenant fonctionne sous la raison sociale Bertrand-Féron et Cie, et contribua, dans la plus large proportion, à la ruine de l'agriculture dans le département de l'Oise. On cherche le moyen de faire cesser la crise agricole, et on s'occupe de voter des tarifs prohibitifs, qui étouffent le pays tout entier dans les liens d'une protection qui supprime tout commerce avec l'étranger. C'est de la folie ! Il n'y a qu'un seul procédé pour redonner du courage aux cutivateurs, c'est de les mettre à même de se passer des marchands de bestiaux, qui les volent, et des banquiers, qui les grugent. Et pour cela il n'y a qu'à créer des banques régionales de prêts à l'agriculture...

— Mon cher Richard, j'admire votre compétence, dit Mgr Espérandieu en riant, et je suis tout saisi de votre ardeur...

— Ah ! Monseigneur, c'est que tous mes parents sont grands propriétaires, et que, depuis que j'ai l'âge de comprendre ce qu'on dit autour de moi, j'entends discuter la question, et je l'ai vu résoudre par l'initiative privée... Mon oncle de Préfont a sauvé son domaine de l'Eure, en aidant ses fermiers au lieu de les étrangler, quand ils ont été atteints par la crise... Ce qu'il a fait, par affection pour ces braves gens, l'État devrait le faire dans l'intérêt national. Si, dans les moments difficiles, les cultivateurs trouvaient de l'argent à trois pour cent, et à long terme, au lieu d'être obligés de vendre leurs denrées, ou d'emprunter à douze et quinze, la prospérité renaîtrait dans les campagnes et aussi la confiance... Mais nous voilà bien loin de Lefrançois, quoique nous soyons au cœur de ses affaires. Ce coquin faisait l'inverse de ce que je recommande, et au lieu d'abaiser le taux de l'intérêt, à mesure que les difficultés devenaient plus grandes pour ses clients, il l'augmentait sous prétexte que l'argent était rare. Il s'engraissait ainsi de toutes les ruines, s'arrondissait de toutes les ventes et se choisissait, pour lui, les plus belles et les plus productives terres de la contrée. C'est ainsi qu'il est arrivé à posséder le domaine de Fresqueville près de Favières, et qu'il est devenu un des importants propriétaires fonciers de l'Oise. Il avait la quarantaine lorsqu'il vint s'installer à Beaumont. Depuis deux ans Paul Daniel, agrégé et docteur, était professeur au lycée de notre ville. Il avait fait revenir sa mère pour lui tenir son ménage, et sa vie, toute de travail, eût été la plus heureuse du monde, s'il n'avait rencontré Mlle Florence Guépin. C'était assurément la plus jolie fille qu'on pût admirer à dix lieues à la ronde et Votre Grandeur n'ignore pas que notre département est renommé pour la beauté de ses femmes...

— Richard, interrompit l'évêque, je vous trouve un peu risqué dans vos commentaires...

— Monseigneur, il ne peut y avoir rien de scandaleux dans une appréciation historique. Il est notoire que le territoire des anciens Bellovaques offre de purs types de la race gauloise étonnamment conservés à travers les âges, comme la Bretagne montre des spécimens kimris très accentués. Cette Florence était la plus délicieuse blonde aux yeux noirs qu'il fût possible de voir. Et la belle Mme Lefrançois ne donne qu'une idée effacée de ce que fut la ravissante Mlle Guépin. C'était la rose en bouton...

— Là ! là ! calmez-vous, ne chantez pas le Cantique des cantiques !

— Moi, je ne l'ai pas connue. Monseigneur. J'étais trop jeune. Mme Lefrançois est mon aînée. Mais mes oncles en parlent encore avec un enthousiasme si vibrant qu'il fallait vraiment que la rose de Beaumont, ainsi qu'on appelait Florence, fût une personne extraordinaire.

Le vieux Guépin, son père, était menuisier, au coin de la place de la Cathédrale. La boutique existe encore, c'est son premier ouvrier qui a pris la suite des affaires, quand Lefrançois, humilié de voir le nom de son beau-père sur une enseigne, et le beau-père lui-même en bras de chemise, rabotant au milieu des copeaux, emmena le bonhomme à Orcimont, une autre de ses propriétés, pour lui donner la surveillance de ses ouvriers. Mme Daniel habitait la même maison que le menuisier. Elle y occupait, au second étage, quatre pièces donnant sur la place, et l’escalier, qui conduisait à son appartement passait devant l'atelier du père Guépin. L'odeur du sapin travaillé montait jusque chez elle, et c'était une de ses inquiétudes de penser qu'une allumette, jetée par un apprenti négligent sous son établi, ferait de la maison un brasier avant qu'on eût le temps de ramasser ses affaires pour s'enfuir. Forcément, Paul, en descendant, voyait ce qui se passait dans l'atelier. Il écoutait avec amusement le grincement des varlopes et le ronflement de la scie mécanique. Un jour, il s'arrêta pour regarder; il venait d'apercevoir Mlle Florence, sortie de pension le jour même et installée chez son père. Le brave Guépin lui cria : « Entrez donc, monsieur le professeur, nous avons une habitante nouvelle à vous faire connaître. C'est ma fille, une personne savante et qui sera en état de vous répondre. » Paul franchit la porte du magasin, il marcha sur un moelleux tapis de sciure de bois, s'avançant ébloui, vers cette adorable jeune fille qui lui souriait illuminée par le jour cru qui passait à travers le vitrage, nimbée par les poussières blondes qui voltigeaient dans l'air doré, si rose, si fine et si potelée, qu'il en resta, comme dit le bon Rabelais, déchaussé de toute sa cervelle... Ce que fut cette première entrevue, nul n'eût pu le dire, pas plus Paul Daniel, qui ne reprit ses sens qu'en se retrouvant sur le pavé municipal, que Florence Guépin qui n'avait vu dans l'apparition du jeune homme qu'un incident très banal, un voisin qui circulait dans un couloir et qu'on appelait pour le lui présenter.

GEORGES OHNET
A suivre...
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